La compassion est d’abord un état d’esprit, elle peut se décliner dans toute profession ou activité. Olivier Coudroy, formateur en médiation scolaire, a acquis son expérience lors de sa recherche en doctorat et en menant différents projets de médiation en milieu y scolaire. Il ébauche la rencontre entre compassion et médiation. Tenter de réunir plutôt que de séparer, une pratique et un défi au quotidien.
Vous avez dit bonheur ?
Le point de départ de toute démarche spirituelle ne serait-il pas la prise de conscience de la souffrance ? Si tout allait bien pour tout le monde, il n’y aurait sans doute pas beaucoup de questions à se poser, chacun profitant de sa situation. À bien y regarder, il semblerait que la réalité du monde soit autre. Bien entendu, nous expérimentons tous des moments de bonheur, des situations agréables et nous rencontrons des relations qui nous font grandir.
Cependant, bien souvent, ces expériences sont marquées par une profonde insatisfaction. Que dire lorsque notre vie est caractérisée par un mal-être général, voire de véritables souffrances. Regardons en nous et dans notre environnement proche ou lointain la manière dont ces mots résonnent.
Lorsque nous avons une véritable conscience de notre propre situation et de celle des autres, nous ne pouvons faire autre chose que développer de la compassion. Sur base de la reconnaissance de la souffrance, le souhait de pouvoir en être libéré et d’en libérer autrui s’élève naturellement. Comment rester impassible à la vue d’un être dans la difficulté sans vouloir, dans l’intention d’abord, qu’il soit délivré de cette condition. Si, comme moi, cette pensée n’est pas toujours spontanée, voire parfois totalement absente, une des raisons s’explique par notre manque d’entraînement. Notre manque d’entraînement à voir, à être présent à soi-même et aux autres.
Dans la considération de l’autre, un sentiment corolaire peut également s’élever : l’amour. Pour Jigmé Rinpoché : « L’amour est ce mouvement tout naturel qui consiste à souhaiter que cela aille bien pour tout le monde, soi-même y compris, bien sûr. » Tout le monde recherche le bonheur, notre amour s’exprime dans notre capacité, au minimum dans l’esprit, à faire en sorte que cela advienne.
Du côté des jeunes
Il semblerait que l’espace scolaire n’échappe pas au constat d’un bonheur relatif. La deuxième enquête nationale de victimation et de climat scolaire de 2013 montre que 93 % des collégiens sont satisfaits du climat à l’école.
Cependant, ce constat est entaché par la multiplication des micro-violences : insultes (57 %), vol de fournitures (47 %), surnoms méchants (39 %) et mise à l’écart (37 %). Il existe également de nouvelles formes de violence telles que la cyber-violence (13 % des élèves rapportent avoir été insultés via internet ou le téléphone portable). De plus, la part des multivictimations modérées est de 11 %, alors que celle identifiée comme du harcèlement est de 7 %.
Le dernier sondage de baromètre bien-être des adolescents montre que 72 % des jeunes se sentent bien à l’école mais que 45 % d’entre eux se disent souvent sous pression et 30 % rapportent avoir des difficultés à aller vers les autres. La médiation scolaire en tant qu’outil de gestion des relations a son rôle à jouer.
Communiquer autrement
Lorsque de petits conflits éclatent entre les jeunes, le recours à une médiation peut permettre de résoudre la situation. Toute la difficulté des relations interpersonnelles réside dans notre manque de capacité à nous mettre à la place des autres. Lorsque deux élèves sont en opposition, le ressenti se limite à l’expérience personnelle de chacun. Le médiateur va avoir pour rôle d’amener l’un et l’autre des partis à prendre conscience de la situation du point de vue de l’autre.
Plusieurs approches de la médiation sont possibles. Celles basées sur la Communication Non Violente de Marshall Rosenberg, comme le propose l’association Génération Médiateurs , me paraissent plus pertinentes.
L’élève médiateur va, dans un premier temps, reformuler les propos de chacun en se basant sur les faits, en essayant de les dissocier de leur interprétation émotionnelle. De cette manière, il est plus aisé d’avoir accès au point de vue de l’autre. Ensuite, le médiateur fait émerger le sentiment éprouvé par chacun. Petit à petit, il facilite la prise de conscience de la souffrance vécue par les jeunes. Des bribes de compassions sont expérimentées, les élèves en conflits prennent doucement conscience de la situation de l’autre. Dans un deuxième temps, le médiateur va faire exprimer les besoins de chaque élève médié. De cette manière, il amorce la possibilité d’entrevoir ce qui est bon pour l’autre. Cette étape se termine par la recherche d’un accord gagnant-gagnant. Il s’agit d’une mise en œuvre de notre capacité à aimer, à chercher ce qui est bénéfique pour soi et pour autrui.
Khenpo Yéshé Ouangden a enseigné à Dhagpo Bordeaux que pour développer un amour et une compassion juste, notre pratique devait être fondée, en premier lieu, sur l’équanimité. Dans la gestion des conflits, les élèves médiateurs rappellent en début de séance leur rôle : ni juges, ni arbitres, ils ne prennent pas parti. Cette étape est primordiale.
Nous avons la possibilité et la responsabilité dans ce monde difficile de développer plus de compréhension de soi-même et des autres. Tenter de réunir plutôt qu’opposer, voilà le socle de la construction d’une société plus harmonieuse et plus joyeuse.
Olivier Coudroy