La vie professionnelle : une éthique au quotidien 

Cet article a été publié dans le magazine Regard Bouddhiste du mois de septembre consacré à la vie professionnelle. 

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Voie de libération et développement personnel 

Parler du bouddhisme et de la vie professionnelle nous met naturellement face à une première ambiguïté. Le bouddhisme est une voie de libération de la souffrance par un profond travail d’introspection alors que le but de l’entreprise est de produire des biens ou des services ; pour survivre et se développer, elle cherche à créer de la valeur en générant du profit. Pour le dire sans nuance : alors que l’un questionne le désir, l’autre cherche à le nourrir. Comment ces deux-là peuvent-ils se rencontrer et collaborer utilement ?

La pratique bouddhiste a plusieurs perspectives. Une des façons de la définir est de l’aborder en termes des trois entraînements : l’éthique, la méditation et le discernement. L’éthique peut se résumer au fait de ne pas nuire, individuellement ou collectivement. La méditation consiste à dévoiler la lucidité et la clarté de l’esprit, et de le pacifier. Quant au discernement, il permet de percevoir les situations telles qu’elles sont, le jeu de causes et de circonstances. Le Bouddha les a enseigné pour permettre à chacun de dissiper la méprise ou l’ignorance qui nous caractérise tous et qui est la cause première de notre insatisfaction, de notre souffrance. Une autre perspective de la pratique bouddhiste, outre le processus de libération, consiste à « embellir le monde » c’est-à-dire  de mettre en oeuvre des moyens pour générer des circonstances favorables aux humains, de leur procurer de meilleures conditions de vies.

En ce sens, on peut trouver dans le bouddhisme des valeurs et des méthodes qui permettent un mieux vivre dans l’entreprise et, surtout, de développer une dimension éthique de façon très concrète dans l’organisation et dans les relations tant en interne que vers l’extérieur. Il s’agit de faire de notre vie professionnelle une démarche éthique. C’est l’éthique qui est le fondement de tout développement, que ce soit dans la vie professionnelle ou dans une démarche spirituelle. Lorsque j’intervenais en entreprise, j’ai rencontré des équipes managériales dont la préoccupation était, bien sûr, de maintenir un appareil de production générant du profit, mais qui ne dérogeait pas à l’éthique à tous les niveaux : qualité du produit, qualité de vie dans l’entreprise et respect du client. C’était, pour eux, un défi quotidien.

Une autre ambiguité apparait. Que signifie « bouddhisme et vie professionnelle ». Faut-il aller prêcher dans les entreprises ? Mettre tout le monde à la méditation ? Proclamer des valeurs respectueuses de l’humain ? Comment, concrètement, faire vivre des principes dans un monde qui n’est pas, a priori, destiné à intégrer une approche spirituelle dans son activité.

L’universalité du bouddhisme permet d’y puiser des ressources sans qu’elles ne soient connotées par un quelconque aspect religieux ou spirituel.

Prenons quelques exemples. Cultiver une motivation qui associe le développement de l’entreprise avec le bien-être des partenaires, développer une conscience des perturbations émotionnelles qui entravent la communication afin d’améliorer le travail en équipe, travailler sur les causes et les symptômes du stress, aider à gérer le temps en identifiant les réelles priorités, et il y en a d’autres.

La vision que propose le bouddhisme et les méthodes qui y sont associées sont applicables pour qui veut améliorer la vie au travail. Il ne s’agit pas d’avancer masqué, mais il est inutile de poser un label « bouddhiste » sur une approche qui, finalement, est une façon profondément humaine et lucide d’aborder les situations. Une chose est de s’inspirer de l’enseignement du Bouddha, une autre est de devenir bouddhiste. Il me semble que ce n’est pas trahir une transmission authentique vieille de 2600 ans que de s’en inspirer pour permettre aux humains de devenir plus humain. L’erreur consisterait à prendre l’un pour l’autre et à réduire le bouddhisme à un développement personnel. Les deux ont leur raison d’être.

Les pièges de la méthode 

Comment irriguer la vie professionnelle d’une approche fondée sur le bouddhisme ? Comment injecter des valeurs voire des méthodes inspirées par l’enseignement du Bouddha dans le monde du travail ?

Le point de départ est toujours le même : la prise de conscience de l’insatisfaction qui nait de notre façon d’aborder les situations et la certitude qu’une transformation est possible. C’est le principe des quatre vérités des Nobles. Comme le dit Jigmé Rinpoché : « L’esprit, qui est fondamentalement lucidité, clarté et sagesse, peut trouver les solutions à ses propres problèmes. »

Un élément, cher au bouddhisme, est ici essentiel : l’exemplarité. Le directeur d’une chambre consulaire que j’ai accompagné témoignait de l’évolution de ses collaborateurs au fur et à mesure que lui-même changeait ses modes d’écoute et de communication, et faisait évoluer sa posture au sein de son équipe.

Sur base de cette prise de conscience, les formes de la démarche peuvent être multiples. Aller à la source et suivre des enseignements bouddhistes transmis par des enseignants qualifiés. Il existe aujourd’hui des coachs et des formateurs qui fondent leur approche sur le bouddhisme. Il existe également des groupes de réflexion qui, par des échanges réguliers, éclairent la pratique professionnelle à la lumière du bouddhisme.

Nous remarquerons que l’option proposée est d’abord un démarche individuelle. Elle peut, selon les circonstances, se décliner collectivement au sein d’une structure, mais cela dépend bien sûr des décideurs.

Mais quelle que soit l’approche, il est essentiel d’être clair sur ce qu’est une méthode et ses effets. Une méthode ne change pas quelqu’un qui ne souhaite pas se transformer. C’est la motivation qui prime (autre élément fort dans le bouddhisme). Elle peut naître au fil du processus de formation, mais elle est primordiale.

Toute transformation est affaire d’entrainement. Une formation commence quand elle se termine. Devenir éthique ne se décide pas mais se cultive. C’est l’entraînement qui permet la transformation. Le Bouddha a expliqué à de nombreuses reprises qu’il pouvait partager les conditions de la transformation, mais que les seuls qui pouvaient se transformer c’était nous-mêmes.

Un dernier aspect à éviter : l’attitude extrême qui consiste à mettre les situations au service de la méthode, à enfermer les situations dans une grille de lecture figée. Toute méthode est au service de la réalité et non l’inverse. Le bouddhisme n’est pas une théorie à appliquer, il est un chemin d’exploration, une façon de devenir autonome. Certes, il y a des critères, des méthodes, des vues bien spécifiques, mais c’est à chacun de les faire vivre dans son contexte.

Quelques exemples

Les ressources que propose le bouddhisme se déclinent de différentes manières selon les divers aspects de la vie professionnelle. Voici trois propositions d’approche. Ce ne sont que des pistes qui demandent à être développées :

La gestion du temps : le temps nous manque et nous l’éprouvons de façon chaotique. Aborder la gestion du temps commence par une réflexion sur l’impermanence, le temps qui passe et notre manière de l’éprouver. Elle demande à revisiter nos priorités et d’aller voir du côté du désir et des fascinations. La question n’est pas de remplir l’agenda de la façon la plus efficace, mais de donner priorité à nos réelles priorités et de trouver un équilibre entre les différents engagements de notre vie. Cela oblige à revisiter nos motivations et à mettre en oeuvre les moyens de les incarner.

La gestion du stress : le stress nait de l’impression réelle ou imaginaire de ne pas avoir les ressources nécessaires pour faire face aux situations. Inutile d’en rappeler les conséquences tant au niveau physique que psychique. Le bouddhisme, outre la méditation, offre de nombreuses méthodes pour prendre conscience des perturbations émotionnelles qui nous traversent et pour trouver une détente vigilante qui nous donne la clarté nécessaire pour répondre de façon adaptée aux situations. Le fait de nous relier à notre motivation et de la clarifier redonne également du sens à notre activité.

La communication et le travail en équipe : le bouddhisme nous invite d’abord à un travail d’introspection. Nous avons la capacité de poser un regard direct sur nos fonctionnements, nos représentations et nos projections afin de les reconnaître. C’est ce regard intérieur, de plus en plus précis et subtil, qui nous permet de mieux comprendre les autres et d’adapter notre communication à nos interlocuteurs.

Dans la vie professionnelle, il s’avère que le quotidien et la routine nous coupent des fondamentaux : la motivation, la conscience de ce que nous vivons, la présence des autres, etc. Prendre un temps quotidien afin de nous relier, encore et encore, à l’essentiel est salutaire. Le critère enseigné par le Bouddha à ne jamais perdre de vue est la perspective des deux bienfaits : le notre et celui des autres. Si nous ne sommes centrés que sur nous-mêmes, nous ne pouvons embrasser les situations en considérant les autres de façon claire. Si nous n’agissons que par rapport aux autres, nous nous perdons dans l’activité, coupé de nous-même, ce qui, tôt ou tard se paie cher en stress et en perte de sens.

Conclusion

Le bouddhisme n’a pas de solutions toute faites ou de méthodes prêtes à porter afin de donner sens à la vie professionnelle. Introduire le bouddhisme dans la vie professionnelle est affaire d’entraînement, de conscience intérieure, de questionnements afin d’aller vers plus de bienveillance et d’éthique. Comme nous l’avons dit, c’est un défi au quotidien dans lequel chacun, individuellement ou en groupe, peut enrichir sa vie. C’est bien de richesse intérieure dont il s’agit.

Lama Puntso

Pour aller plus loin : dharmanagement
Pour approfondir : Être serein et efficace au travail 

Un élément, cher au bouddhisme, est ici essentiel : l’exemplarité

Un élément, cher au bouddhisme, est ici essentiel : l’exemplarité

Le respect de soi

La notion de respect de soi dans l’approche bouddhiste est singulière. Dans notre culture, la notion de respect de soi est souvent associée à la connaissance de ses propres limites et du fait de savoir les respecter, et de les faire respecter. Il s’agit de ne pas se laisser imposer des choses à faire ou à dire qui ne nous correspondent pas ou qui ne sont pas en accord avec nos convictions.

Le respect de soi commence par la connaissance de soi et l’acceptation de soi. Connaitre ses défauts, ses manquements, ses dysfonctionnements, etc, et savoir les accepter pour ce qu’ils sont, des lieux de travail.

Notre fonctionnement, basé sur la saisie d’un soi réellement existant, durable et autonome, nous amène à dépendre de nos représentations. Et nous sommes très attachés à nos représentations qui, pour nous, sont notre réalité.

Notre fonctionnement 

L’être humain, riche d’un potentiel de sagesse et doté d’immenses qualités, est connaissant, capable d’expérimenter. C’est sa caractéristique même, mais sa manière de connaitre lui-même, les autres et le monde est limité, conditionné par un fonctionnement centré sur lui-même.

Lorsque nous disons « moi », de quoi s’agit-il au juste ? Nous sommes doté d’un corps, et au travers de nos sens, nous avons accès à nous-même, aux autres et à ce qui nous entoure. Notre rapport aux objets de perception s’établit sur base des différents fonctionnements de l’esprit, et nourrit par les émotions d’attraction, de répulsion ou d’indifférence, nous en avons une connaissance subjective.

Pour un même objet de perception, selon la personne qui l’éprouve, l’expérience peut être du domaine de l’attirance ou du rejet, du sentiment de supériorité ou d’infériorité, de la comparaison, de la réjouissance, de l’ouverture, de l’inquiétude, etc. Cela donne, au bout du compte, une attitude d’esprit faite d’un mélange d’événements mentaux qui peuvent être très sophistiqués et qui décident de notre réaction face à la situation rencontrée.

Ainsi, ce « moi » est une identification sans cesse répétée à un corps, support des expériences sensorielles, mentales et émotionnelles qui nous font expérimenter le monde, les autres et nous-même au travers du filtre de nos habitudes mentales. Cette identification est ce qui est appelé la saisie égocentrée, parfois traduit par ego, mais ce terme prête à confusion parce qu’il ne recouvre pas le même sens que dans l’approche occidentale.

Nous nous identifions à ce mode de connaissance, c’est-à-dire que nous limitons notre connaissance en nous identifiant à ce processus, alors qu’il y a plus à connaitre. Notre mode de connaissance est ainsi conditionné par nos perceptions et nos tendances. Ceci est fondé sur une méprise qui est surtout le fait de ne pas voir ce qui est véritablement.

Ce qui nous amène à voir, sur base de nos représentations, « notre » réalité que nous prenons pour « la » réalité. C’est un aspect que nous pouvons très facilement accepter conceptuellement, mais au quotidien, nous sommes fascinés par ce que nous percevons et pouvons difficilement, en situation, remettre en question notre perception des choses.

Nous sommes certain que ce que nous percevons est la réalité, que notre réaction émotionnelle dans une situation, quelle qu’elle soit, est justifiée par le comportement des autres. Pourtant, l’autre n’est que la circonstance de ma réaction émotionnelle, l’émotion m’appartient, comme il m’appartient de la voir ou pas, de la suivre ou pas, d’en assumer la responsabilité ou pas.

Il s’agit là d’une étape importante, parce que nous ne pouvons changer que ce que nous acceptons. Et accepter de reconnaitre, par exemple, que ce n’est pas l’autre qui m’énerve, mais que c’est moi qui m’énerve au contact de l’autre parce qu’il ne fait pas ou ne dit pas ce que j’attends de lui.

Il nous parait évident que les situations devraient se dérouler comme nous l’envisageons, parce que c’est « ainsi » que cela doit se passer ! Sans vraiment prendre en compte que tout ne dépend pas de nous, que tout change d’instant en instant et que nous sommes bien incapable de savoir ce qui se passera l’instant suivant…

Et pourtant nous continuons à penser que les choses devraient se passer comme « je » crois qu’elles devraient se dérouler. Et comme cela ne marche pas vraiment, nous réagissons avec colère et impatience !

Ce qui n’est pas un problème en soi, si ce n’est que cela génère de l’insatisfaction pour soi et pour les autres, si ce n’est que cela renforce notre tendance à réagir face à ce qui nous dérange par le rejet et que cela augmente encore et encore les causes de souffrance. D’où la proposition bouddhiste d’apprendre à appréhender notre fonctionnement avec bienveillance et douceur.

Se respecter, c’est respecter son éthique

L’éthique bouddhiste a pour but de nous permettre de faire des progrès sur le chemin. Pour ce faire, notre attention et notre vigilance sont appelées à être mobilisées pour reconnaitre ce qui, dans notre fonctionnement, nous éloigne du chemin et ce qui nous en rapproche.

L’éthique bouddhiste est basée sur le fait que nos actions, que ce soit au niveau du corps, de la parole ou de l’esprit, ont des conséquences pour nous-mêmes et pour ce qui nous entoure, les autres comme notre environnement. Il y a deux sortes d’actions, les actions positives et les actions négatives.

Les actions négatives sont celles qui prennent leurs racines dans les trois émotions perturbatrices que sont le désir/attachement, l’aversion et l’ignorance. Elles tendent à avoir des conséquences néfastes pour nous ou pour les autres.

Les actions positives sont celles qui sont exemptes d’émotions perturbatrices et qui, au contraire, sont motivées par la générosité, l’amour, la compassion et le discernement. Elles tendent à avoir des conséquences positives pour nous et/ou pour les autres.

Dans le bouddhisme, une action n’est ni bien ni mal en elle-même, mais est favorable ou défavorable selon la motivation et l’état d’esprit qui la sous-tend. Il s’agit de développer la conscience que les actes dans lesquels nous nous engageons nous éloignent ou nous rapprochent de notre but. Ce qui induit une clarification de notre motivation, qu’est-ce que je veux vraiment, vers quoi je souhaite aller et qu’est-ce que je suis prête à mettre en oeuvre pour y parvenir.

Sur base d’une conscience des conséquences de nos actions des corps, parole, esprit, il s’agit d’être attentif à ne pas se laisser emporter par les mouvements émotionnels qui nous traversent, mais s’entrainer, encore et encore, à ne pas les suivre. Cet entrainement se cultive dans la méditation et se décline dans nos relations au quotidien.

Le respect de soi comme respect de son éthique

En respectant l’éthique que nous choisissons, parce qu’elle est un soutien, un guide vers le but visé, nous nous respectons en ce sens que nous mettons en oeuvre ce qui est le plus important pour nous. Ce faisant, nous assumons la responsabilité de nos actes et de notre chemin.

De plus, c’est parce que nous posons ce regard bienveillant et vigilant sur nous-même que nous pouvons considérer les autres avec cette même vision. Ainsi, se respecter soi-même amène, de façon naturelle, à respecter les autres et leurs propres valeurs.

Se respecter, c’est vivre l’éthique, attentif à ne pas nuire et à accomplir le bienfait d’autrui, en considérant nos manques, en s’appuyant sur nos ressources et en cultivant une plus vaste connaissance de notre fonctionnement.

Trinlé

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La communication toxique (mais pas que)

La communication comme entrainement

La communication est toujours au service de quelque chose : elle n’existe pas pour elle-même. Evidemment, elle informe mais elle a bien d’autres fonctions : nourrir une relation, clarifier un projet, détendre ou répondre à une angoisse face au silence, elle comble ou elle construit, elle manipule aussi.

La communication est un composé : en plus du message que nous souhaitons transmettre, il y a les éléments intérieurs comme la motivation, l’émotion, le mental, le corps, le langage, etc. Il en va de même pour celui vers qui nous communiquons. La communication est, de fait, altérité. Et puis, il y a l’environnement, le contexte. Nous maîtrisons certains de ces éléments mais d’autres nous échappent. En percevant cette dimension composée, nous ne vivons plus la communication comme un tout monobloc ; cela donne des portes d’entrées pour la travailler.

La communication est une dynamique : il n’y a pas de communication immobile, elle est toujours interaction et elle s’inscrit dans la durée. La communication est mouvement, elle peut donc évoluer ; elle a d’ailleurs souvent besoin de temps. Cela signifie également qu’elle est progressive, et travaillable.

La communication est forte de conséquences : elle n’est pas anodine car elle  est le moyen d’exprimer du sens et, même, de participer à son élaboration. De ce point de vue, elle est une force car elle a une influence sur l’environnement, sur l’autre et sur nous-mêmes.

Pour ces différentes raisons, la communication idéale n’existe pas. Elle dépend des circonstances, de l’état d’esprit, elle demande des réajustements, elle se construit. La communication est entraînement.

La communication éthique

Dans le cadre du bouddhisme, la communication a pour propos de faire sens et de construire une cohérence. Il s’agit d’abord de déployer une communication qui ne nuit pas, qui ne génère pas plus de confusion (sauf si celle-ci est une étape vers plus de clarté). Ensuite, la communication est une ressource c.à.d qu’elle nourrit le but que nous nous sommes donné. Et enfin, le propos de l’entrainement est d’aboutir à une communication fertile. Elle tient alors compte de l’environnement et de l’interlocuteur (ses besoins, son rythme, ses modes relationnels). Elle est soutenante.

Les communications toxiques 

Quelques points de repères formels pour repérer les modes de communication qui entravent la cohérence, qui détournent du sens choisi.

La communication qui trompe : c’est la communication des sous-terrains qui ne dit pas ses intentions. Dans cette façon de communiquer, il y a un décalage entre notre motivation réelle et celle que nous exprimons. Nous trompons notre interlocuteur à notre propre profit. Nous manipulons les faits, le réel. D’une manière ou d’une autre, ce mode d’échange empêche la confiance. On trouve aussi dans cette façon de faire, les promesses non tenues, les mensonges du quotidien et tout ce qui ment sur ce que nous sommes en réalité.

La communication clivante : elle empêche l’harmonie, elle sépare, elle monte les uns contre les autres, toujours à notre profit. C’est dans ce contexte que nous pouvons comprendre la force des mots : calomnies, dénigrements ou insinuations, que la personne concernée soit là ou non, modifient le regard et la perception que l’on en a. Parler de l’autre c’est proposer une manière de l’envisager.

La communication blessante : c’est la flèche décochée dont on sait qu’elle sera douloureuse pour l’interlocuteur. C’est comme si il y avait un secret plaisir à esquinter l’autre. Qu’elle soit directe ou insidieuse, matinée d’humour ou dure, la parole blessante laisse des traces, elle nourrit les afflictions.

La communication insouciante : c’est la parole sans conscience, l’anodin, le futile qui semble être au service de rien mais qui joue quand même de son influence. Cette parole insouciante aboutit à un moment ou un autre aux trois communications toxiques précédentes ; l’absence de vigilance laisse la place à une parole qui ne maîtrise plus son message, qui se laisse déborder par le langage. Elle peut aussi être juste mais adressée ni au bon interlocuteur, ni au bon moment. Elle est gaspillage.

Le propos est de dégager notre communication de ces quatre aspects afin qu’elle participe à la cohérence de l’éthique. Mais cela ne s’improvise pas. Même sans être mal intentionné, nous savons bien comment il est aisé de tomber, par la force des habitudes, dans l’une ou l’autre de ces communications toxiques, voire même de les combiner. Non seulement cela ne s’improvise pas mais nous ne pouvons nous forcer à nous en extraire. Il nous faut donc rassembler les conditions qui nous permettent de nous entrainer à une juste communication.

Oui, mais…

Néanmoins, ne nous laissons pas prendre par la forme. Un exemple issu de la tradition bouddhique : Si, me promenant dans la campagne, je vois passer un lapin puis, quelques instants après, un chasseur. Si celui-ci me demande par où est passé le lapin, je lui indiquerai une direction contraire. Tromper devient ici une qualité (dans la mesure où la mort du lapin et le désir de tuer du chasseur me concernent).

S’abstenir de la communication blessante ne doit pas empêcher la confrontation. La confrontation des idées est une nécessité pour faire sens. Parfois, même avec toutes les précautions prises, la confrontation peut être en elle-même blessante. Ici, le fait de blesser n’est pas le but mais une étape du processus.

De même, éviter la communication clivante ne consiste pas à ne rien penser ou dire des autres. Bien des situations nous obligent à évaluer les personnes ; évaluer n’est pas juger. Néanmoins, la frontière émotionnelle est mince entre évaluation et jugement de valeur. Cela demande de la vigilance afin que l’une ne contamine pas l’autre. En fait, notre jugement contamine de fait l’évaluation, il s’agit de préserver une attention qui nous permette d’identifier le jugement au moment même de son déploiement afin de ne pas y succomber.

Enfin, se dispenser d’une communication insouciante ne suppose pas de se cantonner à une parole utilitaire. Il s’agit de s’entrainer à une communication de la double écoute : soucieuse de l’autre et consciente d’elle-même.

Ce qui décide donc de la justesse de la communication ne dépend pas de la forme qu’elle prend mais d’abord de la motivation qui la soutien.

Puntso

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L’éthique de l’accompagnement

L’éthique
Parler de l’éthique semble souvent affaire de spécialistes. Ce n’est pas faux, mais c’est tout de même un peu limité. La réflexion éthique nous concerne tous, elle concerne chacun d’entre nous, parce qu’elle conditionne notre manière d’être au monde.
Ce sont nos repères éthiques qui nous permettent de nous positionner pour faire nos choix dans nos relations, dans notre travail, dans nos loisirs. Bien sûr il y a la législation, les lois, bien sûr il y a un code de conduite favorable pour entretenir des relations saines, mais ce sont mes propres choix éthiques qui vont conditionner mon comportement dans la vie de tous les jours, comme dans des situations plus délicates que sont, par exemple, les situations de fin de vie.
Notre éducation, notre culture, notre tradition religieuse, notre spiritualité, nous apportent un cadre, des points de repère importants qui étayent des valeurs que nous validons. Cependant, il est important de souligner que, quel que soit le cadre choisi, c’est mon rapport à ce cadre qui donnera ou non sa pertinence à mes actions.
En effet, nos émotions, nos attachements ou nos rejets, nous amènent souvent à dévier de ce cadre. Ainsi, bien que j’ai l’intention de ne pas nuire aux autres, si une personne me dérange, m’importune, je peux tout à fait, sous le coup de l’impatience, de la colère, la rejeter sans grand ménagement, peut être même la blesser !
Du point de vue de l’enseignement du Bouddha, la mise en œuvre de l’éthique est affaire d’entrainement. Il s’agit de développer, petit à petit, un regard plus lucide sur nos actions, surtout sur ce qui les sous-tend. Quelle motivation, quelle intention, est à la base de mon attitude ? Quelles émotions, quelles attentes, viennent nourrir ou perturber l’intention première qui est de ne pas nuire ?

L’éthique de l’accompagnement
Quelle pourrait donc être l’éthique de l’accompagnant bouddhiste (ou non d’ailleurs) et sur quelles bases un pratiquant peut-il s’appuyer ?
Accompagner, vient d’un ancien mot « compain », qui signifie, partager le pain. Si on replace ce mot dans son contexte médiéval où la foi chrétienne était très présente, la symbolique du pain était associée à la vie. On parle du pain de la vie. Donc, accompagner, peut s’entendre sans ambiguité comme « partager un moment de vie ».
Accompagner signifie également cheminer avec, et cela induit de suivre le rythme de l’autre, d’accorder nos pas aux siens. C’est-à-dire, s’accorder à ses propres choix et respecter ses valeurs et priorités.
Accompagner, c’est aussi savoir écouter, c’est-à-dire d’entendre au-delà des mots mêmes, afin d’être plus ouvert à l’autre. Mais accompagner ne relève pas seulement d’un savoir-faire, c’est avant tout un savoir-être, et ce savoir-être se cultive.
Lorsque nous parlons d’être présent à une personne en souffrance, il s’agit en fait d’être conscient de ce que nous vivons à l’instant même de la présence, de développer la conscience de ce que vit l’autre, tout en étant présent à l’environnement, aussi bien structurel que relationnel de la personne accompagnée.
Ce regard intérieur se cultive dans la méditation, ce qui permet de développer une plus grande acuité sur nos fonctionnements.
Pour développer cette capacité à être réellement présent, il s’agit d’abord et avant tout d’être honnête avec nous-même, de développer la conscience de ce que nous ressentons. Que ce soit des pensées parasites, des émotions perturbatrices, des peurs, des doutes, nous sommes d’instant en instant traversés par de multiples états d’esprit qui nous éloignent de la conscience de l’instant présent. Ce qui n’est pas en soi un problème, c’est notre vécu ordinaire, l’essentiel est de nous en rendre compte, afin de ne pas nous laisser piéger par tous ces mouvements dans l’esprit.
Développer une conscience plus aiguë de notre fonctionnement permet de moins se laisser duper par nos interprétations premières. Il s’agit de prendre conscience que nous n’avons accès à notre propre réalité et à la réalité de l’autre qu’au travers de nos représentations.
Dit autrement, nous n’avons accès qu’à notre vision de la réalité, mais que nous prenons pour la réalité. À bien y regarder, nous savons que nous ne percevons pas tous la réalité de façon identique, pourtant, au cœur de la situation, nous sommes persuadés, de façon très instinctive, que c’est la réalité. En fait, notre vision est essentiellement subjective, même si l’objectivité participe à l’élaboration de notre vision.
Dans l’éthique bouddhiste, c’est un point essentiel que le pratiquant travaille au jour le jour.
Sur base d’une connaissance plus approfondie de notre fonctionnement, qui prend en compte nos propres limites, nous pouvons nous ouvrir à une réalité plus vaste. Ceci nous permet de ne pas figer la compréhension première que nous pouvons avoir du vécu et de la souffrance de l’autre, pour entendre ce qu’il souhaite nous dire.
C’est en développant un regard doux et généreux envers nos propres erreurs, nos propres dysfonctionnements, nos limites, que se développe la capacité à mettre en œuvre la bienveillance.

Trinlé

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