L’accompagnement en huit questions

En huit questions, anila Trinlé donne le sens de l’écoute dans le cadre de l’accompagnement. Une mosaïque de conseils pour clarifier le processus de présence à l’autre (et à soi même). 

Qui sont les personnes en souffrance ? et, plus largement, qui est cet autre que j’écoute ?

  • Des personnes malades, pour certaines en fin de vie, l’entourage des malades, les soignants parfois, et des personnes en deuil, de façon plus générale des personnes qui rencontrent des difficultés à vivre les écueils de la vie.

Comment j’accueille cet « autre » ? dans quel état d’esprit, et avec quels présupposés ?

  • Accueillir l’autre dans ce qu’il est, lui offrant la générosité d’une écoute. Une générosité gratuite qui n’est pas entachée ni de pitié, ni de commisération, un état d’esprit qui tend à la compassion. Cette compassion, nourrie par une motivation vaste, consiste à souhaiter pour l’autre qu’il soit libéré de la souffrance et des causes de la souffrance.
  • Garder  à l’esprit que je ne sais pas à la place de l’autre ce dont il a besoin. Être attentif à ce que je veux dans cette relation car plus « je veux » aider, et moins je suis aidant. Cependant il est essentiel d’être conscient que je veux toujours quelque chose, au moins qu’il aille mieux…
  • Faire confiance aux ressources de la personne et faire appel à ses capacités. J’accepte le temps, le rythme de l’autre, à défaut j’accepte mon incapacité à croire en son potentiel. Je mobilise l’énergie en vue de permettre à la personne de garder ou de restaurer l’estime de soi, en développant une vision globale, conscient des processus et de l’évolution toujours possible. Même si ses réponses sont éloignées des solutions que j’envisageais…

Comment j’accueille la parole de l’autre ? Comment nos deux paroles vont à la rencontre l’une de l’autre ?

  • Préliminaire : l’écoutant ne doit pas oublier qu’il a lui aussi une parole et qu’il en fait usage !
  • Avec une attention extrême, je laisse venir la parole de l’autre, son univers, son vécu. J’accueille les mots, les silences, attentif à ce que je vis dans l’espace de cette rencontre.
  • L’important n’est pas de comprendre, ni de savoir, il s’agit plutôt de connaitre, de rencontrer l’autre dans ce qu’il est, dans ce qu’il vit.

Qu’est-ce que je fais des émotions qui me traversent ?

  • Les voir, les identifier, les accepter et ne pas les suivre. Ce qui demande un entrainement, une rencontre intime avec ses propres mouvements émotionnels, notamment par la méditation.
  • Développer la conscience de leur présence, leur impact sur mon écoute, ne pas se laisser berner par leurs discours.
  • Sa souffrance me touche, m’interpelle, me dérange et je reste là, à son écoute, c’est de sa souffrance dont il s’agit, de son vécu douloureux. J’accueille mon sentiment d’impuissance, l’aide que je peux apporter ne se situe pas dans l’action, mais dans l’écoute inscrite dans une présence bienveillante et non jugeante.

Que signifie avoir du recul, être à la bonne distance ?

  • Être non pas « détaché », mais « non-attaché », c’est ce qui me permet d’entrer en relation et d’entendre la parole de l’autre. Être libre, autant que faire se peut, des attentes liées à l’attachement. L’attachement à la personne, à son discours, à mes réponses qui s’élèvent si rapidement pour contrer le sentiment de malaise qui me traverse face à la souffrance.
  • La « bonne distance » est tout sauf un état figé, c’est un continuel réajustement entre trop de proximité et trop de distance, entre fusion et séparation. C’est sortir de la confusion entre ce qui appartient à l’autre, et ce qui m’appartient en propre, sa souffrance et mon mal-être, ses difficultés et mon sentiment d’impuissance…
Accueillir l'autre dans ce qu'il est

Accueillir l’autre dans ce qu’il est

Qu’est-ce qui fait que l’autre va, ou non, trouver ses propres réponses ?

  • Développer la conscience que la capacité de « rebondir » est présente en chacun, mais parfois tellement entravée par des expériences de vie douloureuses qu’elle semble inaccessible.
  • Être là, « ne rien dire », juste écouter, permettre de déposer ces paroles difficiles et faire confiance au silence fécond.
  • Chercher ensemble les ressources sur lesquelles il est possible de s’appuyer, c’est s’autoriser à se reconnecter à ce qui aide, soutient et éclaire le chemin.
  • Mais ne pas s’y tromper non plus, ce n’est pas accessible à tous, et surtout cela dépend des moments. Il est d’abord nécessaire, voire indispensable, d’être suffisamment apaisé pour intégrer le drame vécu.
  • Toujours se rappeler qu’il faut du temps et que toute personne qui subit une difficulté connaitra différentes étapes : déni, colère, sentiment dépressif…
  • Le temps est un allié, mais ce n’est pas suffisant, le temps seul ne transforme pas, ne permet pas d’évoluer dans son registre émotionnel, la parole est nécessaire et donc une écoute bienveillante est indispensable.

Quelles sont les attentes de celui que j’écoute ?

  • Une aide ponctuelle, précise, une demande impliquant une connaissance des relais possibles, mais non dénuée d’une plainte associée à sa situation problématique et difficile à vivre.
  • Une écoute, le besoin être entendu dans ses souffrances qui semblent exclure du monde « ordinaire ». Une souffrance difficile à vivre, voire intolérable, entretient un sentiment de solitude, d’isolement, lié à l’impression de ne pouvoir être compris dans sa singularité.

Quelles réponses, quelles attitudes adopter ?

  • Aider la personne à élaborer sa parole pour lui permettre de clarifier son vécu, un trop plein de souffrances entrainant une confusion émotionnelle.
  • S’appuyer sur « ma boite à outils » d’écoutant : la reformulation, la prise en compte du non-verbal, la conscience de ce que je vis dans la présence à l’autre mais sans le suivre.
  • Proposer, vérifier, questionner. Ne pas donner de conseils, être attentif aux interprétations rapides.
  • Les réponses, seule la personne les connait, tout au plus je peux la mettre en chemin pour y accéder.
  • Toutes les propositions, même si elles sont justifiées, seront inopérantes si elle ne se les approprie pas par elle-même.
  • Ne pas aller au-delà ce qui est attendu et ne pas limiter la parole. Tenir compte des mécanisme de défense, respecter le déni.
  • Faire preuve de discernement, d’une curiosité saine, d’une faculté d’étonnement, se laisser surprendre. Lâcher l’attendu et les a priori.
  • Rester attentif à ne pas avoir de projet pour l’autre, à ne pas rechercher de résultat. Juste être là.
  • Tout cela en développant douceur et bienveillance envers soi…
  • Ne jamais oublier que je suis en entrainement. Je m’entraine à développer une présence ouverte et consciente d’elle-même, afin de m’ouvrir à l’autre.
  • Mettre en oeuvre les moyens d’offrir une présence consciente, intuitive et éclairante, avec pour perspective de redonner confiance en l’autre et de restaurer l’estime de soi.

Anila Trinlé

Ce que n’est pas la méditation

Il peut être utile parfois de définir une pratique comme la méditation par ce qu’elle n’est pas. Le mot méditation est en-lui même ambigu, il recouvre de nombreuses disciplines. Nous discutons ici de la méditation dans le cadre de la tradition bouddhique.

Faire le vide

Lorsque nous méditons, l’idée première est de se débarrasser de l’agitation. Les sensations, les pensées et les émotions viennent sans cesse perturber l’esprit et générer insatisfactions, manques et frustrations. La tentation est grande, pour éprouver le calme, de se débarrasser de ce chahut intérieur dans le but d’être enfin tranquille. Le fruit de la méditation serait alors un vide psychique qui ne serait encombré par rien.

En fait, l’esprit est un organisme vivant. Son mouvement est naturel et nourrit par l’habitude de saisir cette incessante activité. Ce ne sont pas les allées et venues des pensées qui sont un problème, c’est notre façon de nous y relier. Vouloir entraver les ressacs des pensées c’est commencer un combat avec l’esprit lui-même, c’est se couper d’une partie de nous-même.

Le propos n’est pas de bloquer le mouvement mais de l’accepter, de le laisser libre. A l’image d’une vague qui, ne rencontrant aucune entrave, vient mourir d’elle-même sur le rivage, les pensées se dissipent naturellement dès que l’on ne les nourrit plus, dès que nous les laissons libre. Le propos est d’accueillir les pensées pour ce qu’elles sont, de simples mouvements plutôt que d’écouter ce qu’elles nous disent.

Rechercher des expériences

Nous pouvons également prendre la méditation pour un espace d’expérimentation de sensations nouvelles. Nous sommes alors à la recherche de nouveaux ressentis : des impressions jamais vécues, du bien-être voire de la félicité, peut-être même des visions, des formes, des couleurs, des lumières…

Quand bien même des expériences viendraient fleurir notre méditation, qu’en ferions-nous par ailleurs ? Quelles seraient leur utilité sinon quelques attachements de plus et une pratique méditative motivée par la recherche d’expériences inédites ou la répétition de ce qui a déjà été éprouvé ?

Mais il y’a, ici, une ambiguité : une méditation bien menée génère toute sortes d’expériences. Il est dit qu’elles sont aussi nombreuses que les gouttes de rosée au lever du soleil. Elles s’évaporent néanmoins tout aussi rapidement. La question n’est pas de rechercher les expériences puisqu’elles s’élèveront de toute façon. Il s’agit, à l’inverse, de ne pas se laisser fasciner par elles. Elles ne sont que des moments de l’esprit, des dimensions cachées par l’agitation qui se révèlent naturellement.

Méditer consiste à changer de mode de connaissance, à se défaire des distractions (comme celle qui consiste à faire le vide, ou celle qui s’évertue à éprouver quelque chose de nouveau). Méditer c’est se donner l’opportunité de percevoir clairement nos fonctionnements confus pour s’en libérer. C’est bien la non distraction qui peut mener à la quiétude et à la clarté.

Se relaxer

Une confusion demeure : prendre la méditation pour de la relaxation. Le propos de la relaxation – comme son nom l’indique – est de relaxer corps et esprit. Pour nous qui sommes bien souvent très mentaux et ”coupés de nous-mêmes”, les multiples techniques de relaxation peuvent être un sas précieux pour méditer, une façon de se retrouver, de se relier à nous-même. Mais la pratique méditative va au-delà de cette détente psycho-physique, aussi profonde et riche soit-elle. On pourrait dire que la détente est une condition première à la méditation.

Méditer, c’est se familiariser à un un nouveau mode d’être, à un autre mode de connaissance. La quiétude n’est qu’une première étape qui mène au discernement. Nous parlons ici d’une façon de connaître qui va au-delà des sensations, des pensées et des émotions. Il s’agit de donner sa chance à l’esprit de se connaître autrement, tel qu’il est, sans confusion. Cela ne peut se fabriquer, cela se cultive.

Et donc

Ni faire le vide, ni chercher des expériences, ni se relaxer, la méditation est un entraînement à la non distraction et à la clarification de l‘esprit. Elle génère de nombreuses qualités applicables au quotidien : détente et disponibilité accrues, concentration et vigilance naturelle, par exemple. Mais le réel but de la méditation dans le cadre de la pratique bouddhique est de se rencontrer tel que l’on est, sans fard, sans masque. La méditation est une rencontre répétée avec nous-même, qui nous permet de nous reconnaître dans la multiplicité de nos réactions et de nos fonctionnements et de les pacifier afin de laisser émerger ces qualités inhérentes propres à l’humain que nous sommes.

Puntso

rechercher des expériences

Rechercher des expériences…

Quatre entrées en la voie du milieu

La voie médiane est un moyen de ne pas se faire piéger. Elle n’est pas un consensus mou, elle est la brèche à trouver dans chaque situation, un déséquilibre stable. La voie du milieu est un entrainement, une façon d’éprouver les situations sans se faire illusionner.

Quatre exemples :

1. La voie du milieu des émotions 

Nous sommes sans cesse soumis aux émotions, elles colorent notre esprit, elles décident de notre perception. Bien souvent, elles agissent à notre insu.

– Extrême 1 : nous taisons l’émotion, on s’assoit dessus, on la colle au placard, bref, on la refoule. C’est alors la cocote minute qui, doucement, se met sous pression.

– Extrême 2 : nous exprimons l’émotion, malgré nous ou volontairement. « C’est de l’énergie qui se consume », se dit-on. Mais exprimer l’émotion a des conséquences et en plus, elle aveugle.

– Le milieu : apprivoiser l’émotion. Nous ne sommes plus dupe, on sait quand elle s’élève, on en connait les effets et au final, elle se dissipe. Peu à peu, elle ne nous contamine plus, il y a suffisamment d’espace pour la laisser être.

2. La voie du milieu de l’erreur 

Se tromper est inhérent à l’action. Que ce soit par le manque ou par l’excès, la justesse nous fait défaut. Trop de causes et trop de circonstances que pour maîtriser les situations, l’erreur nous dépasse.

– Extrême 1 : nous culpabilisons. Nous ne collons pas à ce que nous devrions être, nous nous sentons hors cadre. On se pense mauvais avec un sentiment d’irréparable. On est mal.

– Extrême 2 : on s’en fout, même pas mal, même pas peur. On plonge dans la négligence. On préfère regarder ailleurs. On verra plus tard.

– Le milieu : reconnaître l’erreur. Elle n’est jamais aléatoire, elle nait d’un contexte,  elle a son histoire. Elle est un symptôme et nous donne des clés. On peut réparer, on peut en apprendre.

3. La voie du milieu de la relation

Nous sommes toujours en relation. Parfois on aime, parfois non, parfois ça le fait et parfois ça gratte mais, toujours, nous sommes en lien. L’altérité nous interpelle, l’autre nous questionne, juste par ce qu’il est.

– Extrême 1 : complaisant, nous nous adaptons a tout prix ;  indulgent, toujours nous pardonnons. La relation est mièvre, fade, même si on fait bonne figure.

– Extrême 2 : intolérant, nous jugeons. L’autre est trop différent pour nous ; sourde condamnation de ce qu’il dit, de ce qu’il fait, de ce qu’il pense, même si on fait bonne figure.

– Le milieu : comprendre l’autre. Il est comme nous, il est vivant. Il cherche, pour sa pomme. Il navigue comme il peut, insatisfait.  Et il peut changer.

4. La voie du milieu de la méditation 

La méditation est un entraînement à la non distraction. Elle ouvre à un autre mode de connaissance de nous-mêmes et donc des autres. Elle pacifie et clarifie l’esprit.

– Extrême 1 : il n’y a rien à faire, on se relaxe, on se détend. Nous recherchons le bien-être, la simplicité. Méditer c’est être bien, en harmonie ; on pondère.

– Extrême 2 : rien n’y fait, on se bat, on torpille les pensées, elles nous encombrent. Nous cherchons le calme, l’apaisement. Que plus rien ne se passe et nous serons bien.

– Le milieu : éprouver le mouvement. Le laisser advenir, libre. Se détendre mais en vigilance, attentif mais en ouverture. Trop tendu, on relâche, trop ouvert, on revient. Méditer c’est voir sans se faire avoir.

D’un extrême à l’autre, nous sommes ballotés au gré des circonstances. L’extrême, parfois, est sournois, parfois il est extrême. Il est habitude, il est notre norme. Le débusquer, le démasquer et le dissoudre, telle est la voie médiane. Mais alors, que reste-t-il ? Du prendre soin à chaque fois renouvelé.

Puntso

[ Dans cet article, la voie médiane n’est pas abordée en tant que système philosophique établit par le Bouddha et développé plus tard par Nagarjuna ; il s’agit d’un état d’esprit tel qu’enseigné dans le bouddhisme. ]

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