Ce que n’est pas la méditation

Il peut être utile parfois de définir une pratique comme la méditation par ce qu’elle n’est pas. Le mot méditation est en-lui même ambigu, il recouvre de nombreuses disciplines. Nous discutons ici de la méditation dans le cadre de la tradition bouddhique.

Faire le vide

Lorsque nous méditons, l’idée première est de se débarrasser de l’agitation. Les sensations, les pensées et les émotions viennent sans cesse perturber l’esprit et générer insatisfactions, manques et frustrations. La tentation est grande, pour éprouver le calme, de se débarrasser de ce chahut intérieur dans le but d’être enfin tranquille. Le fruit de la méditation serait alors un vide psychique qui ne serait encombré par rien.

En fait, l’esprit est un organisme vivant. Son mouvement est naturel et nourrit par l’habitude de saisir cette incessante activité. Ce ne sont pas les allées et venues des pensées qui sont un problème, c’est notre façon de nous y relier. Vouloir entraver les ressacs des pensées c’est commencer un combat avec l’esprit lui-même, c’est se couper d’une partie de nous-même.

Le propos n’est pas de bloquer le mouvement mais de l’accepter, de le laisser libre. A l’image d’une vague qui, ne rencontrant aucune entrave, vient mourir d’elle-même sur le rivage, les pensées se dissipent naturellement dès que l’on ne les nourrit plus, dès que nous les laissons libre. Le propos est d’accueillir les pensées pour ce qu’elles sont, de simples mouvements plutôt que d’écouter ce qu’elles nous disent.

Rechercher des expériences

Nous pouvons également prendre la méditation pour un espace d’expérimentation de sensations nouvelles. Nous sommes alors à la recherche de nouveaux ressentis : des impressions jamais vécues, du bien-être voire de la félicité, peut-être même des visions, des formes, des couleurs, des lumières…

Quand bien même des expériences viendraient fleurir notre méditation, qu’en ferions-nous par ailleurs ? Quelles seraient leur utilité sinon quelques attachements de plus et une pratique méditative motivée par la recherche d’expériences inédites ou la répétition de ce qui a déjà été éprouvé ?

Mais il y’a, ici, une ambiguité : une méditation bien menée génère toute sortes d’expériences. Il est dit qu’elles sont aussi nombreuses que les gouttes de rosée au lever du soleil. Elles s’évaporent néanmoins tout aussi rapidement. La question n’est pas de rechercher les expériences puisqu’elles s’élèveront de toute façon. Il s’agit, à l’inverse, de ne pas se laisser fasciner par elles. Elles ne sont que des moments de l’esprit, des dimensions cachées par l’agitation qui se révèlent naturellement.

Méditer consiste à changer de mode de connaissance, à se défaire des distractions (comme celle qui consiste à faire le vide, ou celle qui s’évertue à éprouver quelque chose de nouveau). Méditer c’est se donner l’opportunité de percevoir clairement nos fonctionnements confus pour s’en libérer. C’est bien la non distraction qui peut mener à la quiétude et à la clarté.

Se relaxer

Une confusion demeure : prendre la méditation pour de la relaxation. Le propos de la relaxation – comme son nom l’indique – est de relaxer corps et esprit. Pour nous qui sommes bien souvent très mentaux et ”coupés de nous-mêmes”, les multiples techniques de relaxation peuvent être un sas précieux pour méditer, une façon de se retrouver, de se relier à nous-même. Mais la pratique méditative va au-delà de cette détente psycho-physique, aussi profonde et riche soit-elle. On pourrait dire que la détente est une condition première à la méditation.

Méditer, c’est se familiariser à un un nouveau mode d’être, à un autre mode de connaissance. La quiétude n’est qu’une première étape qui mène au discernement. Nous parlons ici d’une façon de connaître qui va au-delà des sensations, des pensées et des émotions. Il s’agit de donner sa chance à l’esprit de se connaître autrement, tel qu’il est, sans confusion. Cela ne peut se fabriquer, cela se cultive.

Et donc

Ni faire le vide, ni chercher des expériences, ni se relaxer, la méditation est un entraînement à la non distraction et à la clarification de l‘esprit. Elle génère de nombreuses qualités applicables au quotidien : détente et disponibilité accrues, concentration et vigilance naturelle, par exemple. Mais le réel but de la méditation dans le cadre de la pratique bouddhique est de se rencontrer tel que l’on est, sans fard, sans masque. La méditation est une rencontre répétée avec nous-même, qui nous permet de nous reconnaître dans la multiplicité de nos réactions et de nos fonctionnements et de les pacifier afin de laisser émerger ces qualités inhérentes propres à l’humain que nous sommes.

Puntso

rechercher des expériences

Rechercher des expériences…

Détente, vigilance et mouvement

Méditation et processus cognitifs

Méditer dans la tradition bouddhiste peut être défini comme changer de mode de connaissance. A partir d’un mode de connaissance conceptuel, efficace mais limité, il s’agit de s’ouvrir progressivement à un mode de connaissance ou de perception plus immédiat, plus direct et plus vaste. C’est une façon de décrire la méditation.

De quel mode de connaissance s’agit-il ? Observons nos processus cognitifs :

  • A partir de notre corps, nous éprouvons des sensations qui nous permettent de récolter des données sur notre environnement et sur nous mêmes – je vois une forme qui bouge.
  • Ces données sensorielles, grâce aux représentations mentales, deviennent informations – cette forme est une souris. Sur base de nos expériences passées, nous pouvons identifier la forme vue, le son entendu, etc. A ce stade, ce que nous éprouvons est déjà perçu comme agréable ou désagréable et nous nous positionnons déjà face à ce que nous percevons en termes de « j’aime » ou « je n’aime pas » (souvent à notre insu).
  • Nous traitons ensuite les informations identifiées selon nos habitudes émotionnelles, l’expérience devient alors complètement subjective – ou j’aime les souris et je souris ou j’en ai peur et je sursaute, par exemple.
  • Finalement, la conscience prend l’ensemble de ce processus pour la réalité.

Il reste un paradoxe : alors que ce processus cognitif nous permet de connaître le monde dans lequel nous évoluons, dans le même temps, il nous en éloigne. Nous ne percevons du monde que notre représentation mentale et émotionnelle. Il y a dans ce fonctionnement une efficacité et une intelligence mais qui n’en restent pas moins limitées et subjectives. (Les découvertes en neurosciences expliquent cela de façon  précises et détaillées).

Et la méditation ? Elle nous permet de prendre conscience de ce mode de connaissance afin de le pacifier dans le but de « connaître autrement ». Guendun Rinpoché dans son ouvrage Mahamoudra explique le processus méditatif : « Quelles que soient les pensées ou les expériences qui surgissent, nous les laissons simplement passer, apparaître et disparaître, sans chercher à les maintenir ni à les supprimer. Ce lâcher prise est l’attitude même de la méditation. (…) Mais il faut veiller à ne pas tomber dans le travers qui consiste à croire que le but de la méditation est de parachever un état totalement libre de toute activité mentale, où il ne se passe absolument plus rien. (…) Méditer consiste à laisser l’esprit faire l’apprentissage du lâcher prise, pour qu’il se libère de toutes les restrictions qui l’emprisonnent. » Il s’agit bien de changer notre façon de connaître les choses en posant un regard neuf sur nos fonctionnements.

La tradition donne la métaphore d’un enfant qui, pour la première fois, découvre un temple coloré et ornementé  : il entre et marche doucement, ne dit rien, il regarde, dans la nouveauté et l’étonnement. Il n’en pense rien, il accueille. Méditer c’est accueillir les mouvements de l’esprit comme cet enfant qui rentre dans le temple : il ne s’agit pas de chercher quelque chose de nouveau mais de poser à chaque fois un regard neuf sur ce qui se passe. C’est ainsi que la méditation nous permet d’accueillir ce qui s’élève pour le laisser se dissiper. C’est un entrainement.

Alors que nous sommes prêt à nous entraîner dans ce sens, une distraction nous accompagne, souvent à notre insu : l’idée que l’on a de ce que devrait être la méditation. Nous ne sommes pas disponible à ce qui s’élève en nous, nous anticipons ce qui devrait se passer ou ne pas se passer. L’esprit est subtilement focalisé sur ce qu’il pense qui devrait advenir et rate ce qui se produit. Nous n’accueillons pas ce qui s’élève dans l’esprit (sensation, pensées, émotions, etc.), nous essayons de valider notre représentation de la méditation. De ce fait, certains états d’esprit nous conviennent et d’autres non, nous tentons de cultiver ce qui nous satisfait et d’éliminer ce qui ne correspond pas à ce que nous jugeons être un état méditatif. Autrement dit, nous ne changeons en rien notre mode de connaissance.

Détente, vigilance et mouvement

On ne peut forcer cette dimension de fraicheur et de nouveauté de la méditation, on ne peut fabriquer un état d’esprit méditatif, il s’agit de rassembler les conditions qui nous permettent de poser un regard intérieur. Voilà trois aspects à cultiver qui nous aident à dépasser la distraction : la détente, la vigilance et le rapport au mouvement.

1. La détente

Il ne s’agit pas ici d’une détente distraite comme lorsque l’on regarde un moment la télé pour se relaxer ou que “l’on pense à autre chose“ pour se délasser. Il s’agit plutôt d’une détente qui se défait des préoccupations. Une détente qui rend disponible : elle est physique, nous relâchons les muscles, les lieux de tension, les crispations ; elle est aussi psychique, nous laissons de côté les inquiétudes et les soucis. Nous pouvons nous l’autoriser le temps de la méditation (pas de craintes, nous les retrouverons après la session). Méditer suppose d’être présent à ce qui s’élève en nous ; tant que nous nous laissons inquiéter par ce qui nous préoccupe, nous manquons de la disponibilité nécessaire pour laisser les mouvements de l’esprit se déployer librement. Tant que je pense à mon collègue qui ne fait pas son boulot, je ne peux accueillir les sensations qui me traversent, tant que je rumine mes échecs et réussites, je ne peux être conscient des pensées qui se déploient, tant que que j’anticipe mes rencontres de la semaine prochaine, je ne peux ressentir les émotions qui s’élèvent. Détente donc ! Comme en fin de journée : tout est accompli, la vaisselle est faite, les enfants sont couchés, je m’assois dans le fauteuil, une grande respiration, je suis disponible. Il s’agit de cultiver une habileté à se détendre qui se développera avec l’entrainement car elle est une des qualités naturelles de l’esprit.

2. L’attention et la vigilance

Pleine conscience, rappel, attention, vigilance, clarté, présence, etc., autant de termes qui pointent la même réalité. Être présent durant la méditation suppose de cultiver deux  états d’esprit : l’attention et la vigilance.

L’attention : C’est la mémoire de ce que l’on est sensé pratiquer, c’est le contraire de l’oubli et implique une connaissance de ce qui est à accomplir et à éviter. Dans la méditation, il s’agit par exemple de se rappeler de ne pas suivre les mouvements de l’esprit car ils sont fugaces, ou dès que nous prenons conscience de la distraction, de revenir avec une douce rigueur au support.

La vigilance : C’est le fait d’être conscient de sa situation au niveau du corps et de l’esprit ; conscient de ses pensées, de sa posture physique, de ce que l’on est en train de faire ou sur le point de faire. C’est être attentif, naturellement aux aguets. Dans la méditation, c’est être présent à ce qui est ressenti sans en faire quoi que ce soit, c’est une qualité de conscience, la capacité qu’a l’esprit à être là. Plus nous développons l’attention, plus la vigilance prend place.

Pour méditer, il nous faut combiner les deux aspects : vigilance et détente. C’est ainsi que l’on peut accueillir l’esprit tel qu’il est sans prolonger ce qui se passe, sans chercher autre chose, sans fabriquer un état artificiel.  Cela nous permet d’être présent à l’état de l’esprit de maintenant, tel qu’il se manifeste, et de le laisser se dissoudre.

Cela demande des réajustements. Le Bouddha compare l’esprit du méditant à une corde de vina ou de guitare : trop tendue, elle casse, trop lâche elle ne donne pas le bon son. Parfois il nous faut relâcher la tension, la volonté, parfois il nous faut revenir avec plus de rigueur au support de la méditation et parfois l’accord est bon, il n’y a rien d’autre à faire qu’à être là, détendu et vigilant.

3. L’agréable et le désagréable

La pratique méditative est sensée nous apporter calme et détente, clarté et bien-être. Aussi, allons-nous, sans en être nécessairement conscient, chercher ces qualités dans notre pratique. Une idée nous imprègne : il s’agit d’être bien. Comme nous l’avons dit plus haut, nous anticipons ce qui devrait se passer. Mais ce faisant, nous rejouons le même scénario qu’au quotidien : attirant d’un côté ce qui est agréable et nous confirme, rejetant de l’autre ce qui est désagréable et nous confronte. Nous continuons à identifier le bien-être au bonheur et le désagréable à la souffrance. La méditation devient alors une nouvelle manipulation de ce que nous éprouvons, recherchant sans fin ce qui nous convient, une forme de « cocoon méditation » où rien ne viendrait nous perturber.  Cela peut momentanément fonctionner mais nous installons par là-même les conditions de l’agitation et ratons, du coup, le rendez vous avec l’esprit tel qu’il se présente à nous.

La méditation nous fait rencontrer une myriade d’états d’esprit différents, tantôt agréables et tantôt désagréables. Le propos n’est pas de les juger ou de les organiser mais de les lâcher. Moins nous nous identifions à ce que nous éprouvons plus l’expérience sera fugace. Comme le dit Guendun Rinpoché : « Nous les laissons simplement passer, apparaître et disparaître, sans chercher à les maintenir ni à les supprimer. ». C’est alors qu’un autre mode de connaissance peut prendre place, nous laissons sa chance à l’esprit de connaître et de se connaître autrement, au travers des sensations, des concepts et des émotions. La clarté peut se déployer.

Ainsi, combinant détente, vigilance et lâcher-prise, la méditation peut prendre place. Pour ce faire, d’autres aspects de la méthode sont nécessaires (la préparation, la motivation, la position, le support, etc.), mais l’on ne peut tout dire à la fois.

Puntso

Merci à Thinley Tulku pour ses instructions sur l’attention et la vigilance.

Les extraits d’enseignement de Guendun Rinpoché sont issu de son ouvrage « Mahamoudra », actuellement épuisé – en cours de réédition aux édition Dzambala

Pour approfondir, deux courts enseignements de Jigmé Rinpoché : Détente et clarté  et Le sens de la méditation

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