Conseils aux méditants

Ces conseils de pratique ont été donnés par Jigmé Rinpoché à Dhagpo Kagyu Ling il y a plus de vingt ans. La force d’une tradition comme le bouddhisme est son actualité malgré le temps qui passe. Ici, Jigmé Rinpoché donne des conseils sur l’état d’esprit de la méditation plutôt une sur la méthode elle-même.


La méditation est le fondement de la découverte de soi-même. Méditer en tibétain se dit Gom, qui signifie « se familiariser », ce qui ne veut pas dire créer quelque chose d’artificiel ou travailler avec son imagination, mais au contraire s’établir dans un état naturel où les qualités sont présentes, sans rien changer, en demeurant tel quel.

Dans cet état, on ne porte aucun jugement sur ce qui se manifeste ; on demeure simplement présent. C’est un état naturel, mais délicat à retrouver et dans lequel il n’est pas facile de demeurer car pensées et concepts s’élèvent sans cesse. Il faut se rendre compte que l’idée qui émerge dans l’esprit est un mouvement naturel de l’esprit ; mais si l’on crée artificiellement cette idée, on s’éloigne de cet état naturel de détente.

C’est une chose à laquelle il faut veiller, sans empêcher les pensées d’émerger, car cette émergence n’est pas en soi négative ; le tout est de prendre conscience de ce mouvement.
 On essaie de s’ouvrir à la nature de son esprit, sans porter de jugement. Quand apparaît une pensée ou dès qu’il y a le moindre changement dans l’esprit, on considère cela comme un mouvement naturel, sans juger : on prend simplement conscience du mécanisme qui se produit.

Plus on prend conscience de l’idée et du concept élaboré a partir de l’idée, plus on a conscience de ce mécanisme, et plus on peut aller en profondeur afin de connaître véritablement tous les mécanismes de l’esprit.
 Quels que soient les noms donnés aux différents types de méditation, ils permettent d’établir un état de calme dans lequel l’esprit est clair, lucide et apaisé.

On s’aperçoit qu’une très forte « énergie » est présente dans cet état, qui diffère de l’état de calme ordinaire. Un état ordinaire de calme et de détente nous conduit plutôt à la torpeur et au sommeil, ou nous emporte dans des rêveries. Là, il s’agit d’un état de calme qui est véritablement le calme de la présence.

Ce n’est pas quelque chose que l’on crée, le potentiel est déjà là et on le retrouve de façon naturelle; on le laisse émerger et on en prend conscience.
Le fait de s’établir dans un état de calme permet également de percevoir l’activité ordinairement relative de l’esprit : nous nous comportons de façon inappropriée, en détournant les qualités présentes en notre esprit. Lorsque nous méditons et que nous sommes véritablement ouverts et apaisés, nous pouvons nous rendre compte des qualités présentes en nous et de cette énergie dont nous parlions précédemment.

On voit aussi comment cette énergie est en fait totalement ligotée et transformée par le désir et l’attachement, par l’idée qu’on a de soi-même, par les émotions perturbatrices, par la séparation qu’on établit entre soi et autrui.

Jigmé Rinpoché

Jigmé Rinpoché

Trop souvent, lorsque nous entreprenons quelque chose, nous en attendons un résultat ; or, le simple fait d’attendre ce résultat alimente encore davantage le flot des pensées. Dans la méditation, il s’agit de s’établir dans un état naturel sans attendre quoi que ce soit.

Il ne faut pas non plus qu’il y ait de doutes quant à ce que l’on entreprend. Ne pas avoir de doutes signifie ne pas porter de jugement sur ce que l’on fait – ne pas chercher à savoir si l’on est en train de bien faire ou de mal faire, etc. – et demeurer dans un état entièrement naturel. Dès lors, l’esprit s’apaise et s’éclaircit de lui-même, sans qu’il n’y ait rien à faire.

Nous avons des idées sur tout, même sur la méditation. Si tel est le cas, nous risquons de tomber dans l’extrême qui consiste à porter un jugement et à vouloir corriger ce nous sommes en train de faire. Et, au lieu de nous ouvrir à un état naturel, nous créons quelque chose d’artificiel.

La méditation doit naître naturellement sans que nous portions de jugement, sans que nous attendions quoi que ce soit. Tout doit être accepté, tout doit être équilibré ; on demeure parfaitement équanime vis-à-vis de tout ce qui se passe, développant simplement la conscience, instant par Instant, de ce qui se manifeste dans l’esprit. Voilà ce qu’on nomme Gom en tibétain, ou la méditation. Il ne faut pas non plus se figer ou se bloquer sur quoi que ce soit. Si l’on attache un chien à un poteau, infailliblement le chien voudra s’en aller, car il est attaché.

Si l’on force l’esprit à demeurer stable, en le ligotant et le maintenant à toute force dans cet état de stabilité, il voudra partir à droite et à gauche, ce qui créera des tensions. Si, par contre, on n’oblige pas le chien ou l’esprit à rester là, aucun problème ne se pose : l’esprit n’a plus tendance à fuir quelque chose qu’on veut lui imposer.

Tout se passe de façon détendue, et l’esprit s’établit dans son état naturel sans aucune tension. Il faut donc être très attentif à ne pas s’enfermer dans des contraintes. Au niveau du corps, de la parole et de l’esprit, tout doit se faire dans une très grande détente.

Jigmé Rinpoché

L’estime de soi : piège ou ressource ?

Cet article, un entretien de lama Puntso avec Aurélie Godefroy, est la transcription de l’émission « Sagesses Bouddhistes » sur France 2 en avril dernier. Le thème porte sur l’estime de soi sur le chemin spirituel. Puntso fera une conférence sur le même sujet à Bordeaux le 13 novembre prochain

S.B. : J’aimerais que l’on commence par définir précisément ce que l’on entend par « ego » car, souvent, on mélange l’ego du point de vue psychologique et l’ego du point de vue bouddhiste. Vous, en tant que bouddhiste, comment définissez-vous l’ego ?

L.P. : Tout d’abord, je confirme que ce terme d’ « ego » a généré beaucoup de confusion d’autant plus que, par ailleurs, il y avait, dans l’approche bouddhiste, l’ego et le non-ego, ce qui, sur le versant de la psychologie et de la psychanalyse, a vraiment posé question.
Pour répondre simplement, on pourrait dire que l’ego, dans la perspective psychologique, est toujours une structure évolutive, mentale, mais, au bout du compte, on a toujours affaire à une entité. Alors que, dans le bouddhisme, en termes d’ego, on parle plutôt d’activité c.à.d une activité continue de l’esprit qui nous conduit à avoir un sentiment, une sensation d’être quelque chose de défini, de solide. Une continuité qui me donne le sens de familiarité, de connu, qui me permet de dire : « je suis continuellement «moi ».
Alors que, en y regardant de plus près, il n’y a pas là une entité, quelque chose de solide, mais une activité sans cesse renouvelée.
Il y a donc une réelle différence entre les deux approches et on verra peut-être après que cela permet la complémentarité. Quand on parle de l’ego dans le bouddhisme, on parle d’une activité sans cesse renouvelée et non d’une entité ou d’une substance en tant que telle. Nous sommes plus « process » que matière.

S.B. : Quand on parle de soi et d’ego, est-ce que cela revient à dire la même chose ?

L.P. : Oui, il y a différents termes du point de vue bouddhiste. Quand on dit « le je, le soi, l’ego, le moi », on fait toujours référence à la même chose. C’est cette saisie, cette identification d’un ensemble d’éléments que l’on cristallise.

S.B. : Alors, a contrario, qu’est-ce que l’on entend par le non-soi ?

L.P. : Pour bien comprendre le non-soi, permettez-moi de développer un peu plus comment fonctionne le soi. Comme on l’a dit, c’est une activité d’identification continue. Une identification à quoi ? D’abord, au corps qui est la base de nos expériences. Ensuite, dans ce lieu, sur la base de mon corps, je vais avoir différentes sensations visuelles, auditives et autres qui vont me donner des données sur la base desquelles je vais pouvoir faire de l’information parce que je vais identifier ce qui se passe. Dès que j’ai identifié ce qui se passe, les différents états d’esprit vont subjectiviser mon expérience, différentes émotions ou autres, et la conscience va me dire : « ça », c’est réellement existant.
Donc au lieu de dire ego, on devrait parler d’un mode de connaissance basé, centré, égocentré sur cette identification. Quand on parle de non-ego ou de non-soi, il ne s’agit pas de détruire quelque chose, mais de changer de mode de connaissance, de passer d’un mode de connaissance égocentré à un mode connaissance qui n’est plus cristallisant.

S.B. : Qu’est-ce que l’on entend par « estime de soi » ? Là aussi, c’est un terme qui peut prêter à confusion.

L.P. : Parmi les différentes incompréhensions du bouddhisme en Occident, il y avait l’idée que, puisqu’il faut réaliser ce non-soi, le soi ou l’ego devient l’ennemi. Or les enseignements du Bouddha ne disent pas cela. Ils nous invitent à prendre le soi comme base pour petit à petit dépasser ce soi et changer de mode connaissance. Pour ce faire, il faut les qualités, et l’idée est que l’estime de soi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, va être une ressource nécessaire pour changer ce mode de connaissance. A la fois une bienveillance envers soi-même, en même temps une vision de soi-même et également une confiance en soi. Cet ensemble va nous permettre de trouver les ressources qui vont nous permettre de parcourir ce chemin de changement de connaissance.

S.B. : Comment cette estime de soi se construit-elle pour nous ?

L.P. : L’estime de soi commence par le fait de se sentir valable c.à.d est-ce que j’ai cette bienveillance envers moi-même ? Quelque chose d’une certaine façon d’inconditionnel. D’un côté, j’évalue ce que je suis, mais, au-delà de l’évaluation, de la conscience de ce que je suis, il y a cette stabilité intérieure qui me dit « je suis respectable », « je suis valable, je suis au monde et je peux être au monde ».
Ensuite, il y a un deuxième aspect – tout cela étant des facettes différentes d’un même sentiment – qui est la conscience de soi, conscience de mes qualités, de mes défauts, je sais où j’en suis. Mais la vision de soi va un peu plus loin c.à.d elle part du principe que je peux faire face à ce que je suis, à la difficulté que je rencontre, à l’adversité.
Le troisième aspect est la confiance en soi et cela a à voir avec mes capacités, mes compétences : suis-je capable de faire des choses ?
Le premier : je suis valable
Le deuxième : je suis adaptable
Le troisième : je suis capable

L'estime de soi est nécessaire sur le chemin spirituel

L’estime de soi est nécessaire sur le chemin spirituel

Ainsi, quand on voit les maîtres du passé comme Milarépa ou Gampopa, on va voir que Milarépa, après avoir détruit son village et tué des êtres, des personnes de son entourage, si l’on regarde sa réaction, a décidé de se transformer, de sortir de ça. Il a eu cette bienveillance et il s’est senti capable de le faire. Il va à la recherche de son maître Marpa et il a conscience de ses capacités et de ses défauts. L’estime de soi est nécessaire pour pouvoir parcourir le chemin.

S.B. : Mais, pour revenir à la construction de cette estime de soi, que peut être le rôle des parents dans l’éducation des enfants, puisque finalement tout se construit dès le plus jeune âge ?

L.P. : Essentiel. Alors, évidemment, dans le bouddhisme, on n’arrive pas avec des valises vides ; chacun a son karma. Mais, au-delà du karma, il y a les circonstances que l’on rencontre. Et là, dans la construction d’un individu, le rôle des parents et des éducateurs en général est essentiel. Pour que quelqu’un puisse se sentir respectable et avoir cette bienveillance envers lui-même, il doit en être nourri dès le départ. Les parents ont quelque chose à montrer un exemple, pas seulement quelque chose à dire. De même, pour la confiance en soi, elle est fondée sur les compétences et ces compétences, on ne les sort pas de nulle part, elles nous sont apprises par l’école, par les gens qui nous entourent. On a ce potentiel d’estime de soi, mais, en même temps, il est construit, il est nourri par les personnes qui nous accompagnent depuis la naissance jusqu’à notre autonomie.

S.B. : En quoi cette estime soi peut-elle nous permettre d’aller au-delà de nos fonctionnements égocentrés ?

L.P. : En réalité, le chemin spirituel n’est pas un chemin facile. Au-delà de ce que l’on peut entendre sur un bouddhisme facile à vivre, de détente et d’ouverture, il y a un réel travail sur soi-même. Ce travail sur soi-même demande des ressources. Tout à l’heure, on a dit qu’il s’agissait de s’appuyer sur cette notion de soi pour dépasser ce soi. On va donc partir d’une connaissance égocentrée pour aller vers un mode connaissance plus ouvert, moins conditionné. A ce moment-là, il va falloir développer des états d’esprit qui vont nous permettre petit à petit cette transformation. On ne passe pas d’une attitude égocentrée à cette grande nature de l’éveil parce qu’on le décide.
Ces qualités à développer vont donc être des qualités intérieures, des états d’esprit comme le respect de soi, le respect de son éthique, la considération envers les autres c.à.d la façon d’entrer en relation avec les autres de façon inspirante, la dimension de compassion … De développer toutes ces qualités demande cette confiance et cette estime de soi qui vont nous permettre d’aller petit à petit au-delà de ce que je vis maintenant, ou plutôt au cœur de ce que je vis maintenant, pour trouver ce mode de connaissance qui n’est plus égocentré.

S.B. : Concrètement, que pouvez-vous nous conseiller pour y arriver dans notre pratique ?

L.P. : L’essentiel, si l’on ramène l’enseignement du Bouddha à l’essentiel, cela reste cette dimension de connaissance de soi, d’attention, de vigilance, de présence. Un entraînement à la présence à soi et aux autres semble être le socle.
Par cette conscience, je vais pouvoir développer des qualités et abandonner ce qui cause la confusion, ce qui cause la souffrance.
Le développement de cette qualité de vigilance accompagnée de la bienveillance, de l’ouverture aux autres, de la compassion, demande aussi une certaine clarté intérieure et une stabilité intérieure. Ainsi, petit à petit, cela va donner la place à d’autres qualités.
Une notion un peu plus délicate à manipuler, c’est la notion de mérite parce qu’elle est vraiment liée à l’enseignement du Bouddha. C’est cette nécessité de rassembler, dans le courant de son être, les actes bénéfiques, vertueux, des actes qui vont comme fertiliser l’esprit. En effet, c’est de là que va naître une compréhension, une clarté, et ainsi, petit à petit, soutenu par cette estime de soi, je vais passer d’un fonctionnement égocentré à un autre fonctionnement, où effectivement l’estime de soi n’aura plus de sens parce que le soi n’y sera plus.

S.B. : Pour conclure, ces deux notions ne sont définitivement pas contradictoires en soi. Elles marchent ensemble ?

L.P. : L’estime de soi est nécessaire quand on est pris dans le soi. C’est par l’estime de soi que l’on va pouvoir aller petit à petit vers ce mode de connaissance non conditionné.

Dépasser les défis

Une vision bouddhiste du monde et de la crise : il y a deux ans, le Gyalwa Karmapa a publié un article dans le Huffington Post sous le titre de « Apprendre de Lehman ». « il est crucial d’être conscient de tout ce qui se passe dans le monde et d’y être relié. » dit-il. Il montre, sans le dire, comment les valeurs d’une voie comme le bouddhisme peuvent s’inscrire dans une société laïque.

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Le samedi 15 septembre marque les quatre ans de la chute des frères Lehman, le début de la crise économique. Même si nous avons vu et éprouvé la douleur et la peine causées par le système économique à tant de monde sur la planète, nous ne pouvons pas non plus oublier que, dans le passé, ce système a été prévu pour être quelque chose de bon et de bénéfique à chacun. Nous devons nous souvenir qu’il faut savoir associer les qualités de compassion et de sagesse à tout ce que nous faisons, en matière d’économie tout comme dans nos vies quotidiennes.

Depuis que j’ai commencé à voyager, il y a près de quatorze ans, j’ai visité de nombreux pays très différents. Si ces voyages m’ont beaucoup appris, la tournée européenne de cette année, « La Richesse de l’Europe », a été particulièrement instructive. J’ai rencontré de nombreux jeunes, y compris les jeunes ambassadeurs du Prince’s Trust, et je les ai écoutés parler de ce qu’ils traversent, de ce qu’ils éprouvent au sujet de la vie, de la situation économique actuelle et aussi de leur façon d’imaginer le futur.

Il y a toujours une façon de dépasser les défis.

Il y a toujours une façon de dépasser les défis.

Nous sommes tous reliés

J’ai également compris grâce à ces échanges qu’aussi longtemps que nous prenons naissance en tant qu’êtres humains et que nous vivons dans ce monde, peu importe la vie que nous menons, nous sommes tous reliés avec tous les individus et toutes les sociétés de cette planète et nous ne pouvons pas fuir les responsabilités ni les circonstances mondaines.

Même pour moi, enseignant bouddhiste qui essaie de suivre le chemin du Bouddha Shakyamuni, il est crucial d’être conscient de tout ce qui se passe dans le monde et d’y être relié.

C’est avec cet état d’esprit que j’ai mis en place l’initiative de « La Richesse de l’Europe ». Plus de 700 jeunes européens ont partagé leurs inquiétudes, leurs aspirations et leurs priorités dans un sondage au cours des dix dernières semaines. Les résultats du sondage ont clairement montré que la grande majorité des jeunes classe les valeurs non matérielles plus haut que la richesse matérielle. Grâce à ce que j’ai appris des enseignements du Bouddha, je m’attendais déjà à ces résultats. Néanmoins, ils sont pour moi très encourageants, très inspirants et me donnent beaucoup d’espoir.

Les qualités demeurent en nous-mêmes

Aussi déroutantes que les choses puissent parfois paraître lorsque nous considérons l’état du monde, il y a toujours de l’espoir et une façon de dépasser ces défis. En particulier lorsque nous voyons le potentiel des jeunes, tout ce dont nous avons besoin est de partager et de communiquer. Lorsque nous échangeons nos points de vue et nos réflexions, les qualités que nous avons tous émergent naturellement. Sans communication, nous pouvons entretenir toutes sortes d’idées et de moyens positifs, mais ils restent en sommeil. Cependant, dès que nous commençons à communiquer, même la plus infime des ressources devient vraiment vitale et efficace.

Inutile de nous mettre sous pression pour changer ou réformer le monde : en étant conscients et en ayant une communication claire et constante, nous pouvons en avoir une vue et une perspective holistiques. Prenons le simple exemple de l’initiative de « La Richesse de l’Europe » : quelques pensées et idées ont été partagées, elles ont apporté davantage de conscience de la richesse de l’Europe à travers le regard des jeunes.

Forts de cette pensée, nous savons naturellement que nous devons nous concentrer sur notre richesse intérieure — que nos qualités intérieures sont les facteurs les plus importants pour vivre une vie porteuse de sens. Grâce à ces qualités, nous acquerrons également une sagesse pour savoir comment entrer en relation avec les valeurs matérielles, dans quelle mesure nous devons utiliser la richesse matérielle et comment le faire avec responsabilité.

J’espère qu’une plus ample communication nous permettra à tous d’amener cette conscience dans le monde entier, afin que chacun puisse apprendre et à appliquer les leçons du passé.

Karmapa Thayé Dorje

La présence, un savoir-être à cultiver

Voici quelques extraits d’un livre qui vient de paraître : « La présence, un savoir-être à cultiver » d’anila Trinlé aux éditions Rabsel.

La présence est un processus vivant qui nous révèle à nous-même et, de ce fait, nous permet d’entrer en relation de façon nouvelle avec les autres. Ce savoir-être se décline ainsi au quotidien, dans nos relations, affectives, relationnelles ou professionnelles.

Ce livre apporte un éclairage nouveau sur la présence. Il est le fruit de la rencontre du bouddhisme et de l’accompagnement des personnes en souffrances. Développer une plus grande conscience de notre réalité, clarifier nos motivations, accroitre notre bienveillance et notre discernement, autant de clés pour déployer une présence fertile pour soi et pour les autres.

Ce n’est pas un livre de recettes ou une méthode de plus pour être efficace au quotidien. Il nous donne des clés, des ouvertures, des pistes, afin que la rencontre avec l’autre (et, du coup, avec soi même) soit fertile. Ce texte n’a pas été écrit pour donner des réponses, mais bien pour nourrir notre réflexion. 

Les extraits :

Introduction

La présence peut se définir comme une manière de connaître ce que nous vivons. Cela suppose une qualité d’attention et une ouverture à ce qui se passe, tant en nous qu’à l’extérieur de nous-mêmes. La présence se cultive, s’affine, elle est à découvrir, à nourrir. Être présent de façon authentique suppose donc un entrainement. Il ne s’agit pas d’un état figé. Différents paramètres entrent en jeu, chacun demandant à être travaillé. La présence est un processus vivant qui nous révèle à nous-mêmes et, de ce fait, nous permet d’entrer en relation de façon nouvelle avec les autres. Pour développer cette présence, il s’agit cependant moins de questionner la situation que « moi » dans la situation.

L’impermanence

Bien que nous sachions notre finitude, nous nous vivons, au moment même de l’expérience, comme étant permanent. Nous avons le sentiment d’être durable, « moi » semble exister de façon forte comme étant une entité permanente.

Pourtant, nous savons bien que tout ce qui a un début a une fin, que tout ce qui commence se termine un jour, que tout ce qui nait meurt. Nous le savons intellectuellement, mais notre expérience ne prend pas en compte cette donnée incontournable de notre réalité.

Ainsi, nous recherchons et construisons notre bonheur en nous appropriant ce que nous aimons, tout ce qui nous plait, nous intéresse, nous rassure, sans considérer leur impermanence. À bien y regarder, nous construisons notre bonheur sur du sable pensant l’ancrer dans une terre solide et fertile.

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L’accompagnement d’une personne malade et/ou en fin de vie

Le mot « accompagner » vient d’un ancien mot « compain », qui signifie, partager le pain. Si on replace ce mot dans son contexte médiéval où la foi chrétienne était très présente, la symbolique du pain était associée à la vie. On parle du pain de la vie. Donc, accompagner, peut s’entendre sans ambiguité comme « partager un moment de vie ».

Mais accompagner ne relève pas seulement d’un savoir-faire, c’est avant tout un savoir-être, et ce savoir-être se cultive. Lorsque nous parlons d’être présent à une personne en souffrance, il s’agit en fait d’être conscient de ce que nous vivons à l’instant même de la présence, de développer la conscience de ce que vit l’autre, tout en étant présent à l’environnement, aussi bien structurel que relationnel de la personne accompagnée.

Être conscient de ce que nous vivons induit une réflexion sur notre motivation, s’appuyer sur nos ressources, développer celles qui sont faibles et acquérir celles qui nous font défaut. C’est également accepter de rencontrer nos peurs, nos émotions perturbatrices, nos attentes et déceptions afin d’aller vers plus de clarté.

Conclusion

Pourquoi travailler sur la présence, le prendre soin ? La proposition est d’amener les situations d’accompagnement au chemin spirituel en clarifiant notre motivation, afin de donner à notre existence un sens bénéfique pour nous-même et pour les autres. Le Bouddha parle d’accomplir les deux bienfaits, le notre et celui des êtres.

Anila Trinlé

Ce que n’est pas la méditation

Il peut être utile parfois de définir une pratique comme la méditation par ce qu’elle n’est pas. Le mot méditation est en-lui même ambigu, il recouvre de nombreuses disciplines. Nous discutons ici de la méditation dans le cadre de la tradition bouddhique.

Faire le vide

Lorsque nous méditons, l’idée première est de se débarrasser de l’agitation. Les sensations, les pensées et les émotions viennent sans cesse perturber l’esprit et générer insatisfactions, manques et frustrations. La tentation est grande, pour éprouver le calme, de se débarrasser de ce chahut intérieur dans le but d’être enfin tranquille. Le fruit de la méditation serait alors un vide psychique qui ne serait encombré par rien.

En fait, l’esprit est un organisme vivant. Son mouvement est naturel et nourrit par l’habitude de saisir cette incessante activité. Ce ne sont pas les allées et venues des pensées qui sont un problème, c’est notre façon de nous y relier. Vouloir entraver les ressacs des pensées c’est commencer un combat avec l’esprit lui-même, c’est se couper d’une partie de nous-même.

Le propos n’est pas de bloquer le mouvement mais de l’accepter, de le laisser libre. A l’image d’une vague qui, ne rencontrant aucune entrave, vient mourir d’elle-même sur le rivage, les pensées se dissipent naturellement dès que l’on ne les nourrit plus, dès que nous les laissons libre. Le propos est d’accueillir les pensées pour ce qu’elles sont, de simples mouvements plutôt que d’écouter ce qu’elles nous disent.

Rechercher des expériences

Nous pouvons également prendre la méditation pour un espace d’expérimentation de sensations nouvelles. Nous sommes alors à la recherche de nouveaux ressentis : des impressions jamais vécues, du bien-être voire de la félicité, peut-être même des visions, des formes, des couleurs, des lumières…

Quand bien même des expériences viendraient fleurir notre méditation, qu’en ferions-nous par ailleurs ? Quelles seraient leur utilité sinon quelques attachements de plus et une pratique méditative motivée par la recherche d’expériences inédites ou la répétition de ce qui a déjà été éprouvé ?

Mais il y’a, ici, une ambiguité : une méditation bien menée génère toute sortes d’expériences. Il est dit qu’elles sont aussi nombreuses que les gouttes de rosée au lever du soleil. Elles s’évaporent néanmoins tout aussi rapidement. La question n’est pas de rechercher les expériences puisqu’elles s’élèveront de toute façon. Il s’agit, à l’inverse, de ne pas se laisser fasciner par elles. Elles ne sont que des moments de l’esprit, des dimensions cachées par l’agitation qui se révèlent naturellement.

Méditer consiste à changer de mode de connaissance, à se défaire des distractions (comme celle qui consiste à faire le vide, ou celle qui s’évertue à éprouver quelque chose de nouveau). Méditer c’est se donner l’opportunité de percevoir clairement nos fonctionnements confus pour s’en libérer. C’est bien la non distraction qui peut mener à la quiétude et à la clarté.

Se relaxer

Une confusion demeure : prendre la méditation pour de la relaxation. Le propos de la relaxation – comme son nom l’indique – est de relaxer corps et esprit. Pour nous qui sommes bien souvent très mentaux et ”coupés de nous-mêmes”, les multiples techniques de relaxation peuvent être un sas précieux pour méditer, une façon de se retrouver, de se relier à nous-même. Mais la pratique méditative va au-delà de cette détente psycho-physique, aussi profonde et riche soit-elle. On pourrait dire que la détente est une condition première à la méditation.

Méditer, c’est se familiariser à un un nouveau mode d’être, à un autre mode de connaissance. La quiétude n’est qu’une première étape qui mène au discernement. Nous parlons ici d’une façon de connaître qui va au-delà des sensations, des pensées et des émotions. Il s’agit de donner sa chance à l’esprit de se connaître autrement, tel qu’il est, sans confusion. Cela ne peut se fabriquer, cela se cultive.

Et donc

Ni faire le vide, ni chercher des expériences, ni se relaxer, la méditation est un entraînement à la non distraction et à la clarification de l‘esprit. Elle génère de nombreuses qualités applicables au quotidien : détente et disponibilité accrues, concentration et vigilance naturelle, par exemple. Mais le réel but de la méditation dans le cadre de la pratique bouddhique est de se rencontrer tel que l’on est, sans fard, sans masque. La méditation est une rencontre répétée avec nous-même, qui nous permet de nous reconnaître dans la multiplicité de nos réactions et de nos fonctionnements et de les pacifier afin de laisser émerger ces qualités inhérentes propres à l’humain que nous sommes.

Puntso

rechercher des expériences

Rechercher des expériences…

La posture, une évidence trompeuse

Claude Magne, qui assume aujourd’hui la responsabilité du centre zen Dôshin à Bordeaux, nous parle de la posture de méditation. Ici la posture n’est pas seulement un moyen ou une technique ; elle est la méditation elle-même et la méditation est la réalisation. Claude nous emmène dans l’expérience de la posture. « La posture est la forme, comme conscience et non comme conformité à un modèle. » nous dit-il. Le langage est parfois poétique, parfois technique, toujours sensible. Une autre façon de vivre la posture.

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La posture n’est pas une forme, une position à prendre, à laquelle le corps doit se conformer. La notion de posture est à prendre au sens large : une manière d’appréhender l’expérience de l’assise, une attitude en recherche d’équilibre qui est l’expression globale de la posture intérieure du pratiquant. Il s’agit d’une dynamique interne et externe, composée de mouvements perceptibles, des plus grossiers aux plus subtils qui révèlent différentes facettes de la personne : sa relation au sensible, au perceptif, au cognitif, à l’émotionnel. Elle est vie, c’est-à-dire mouvement et matière en constante métamorphose. Elle est en constante évolution, entropie et renouvellement.

La posture est donc un processus plus qu’une forme. Elle peut se décrire différemment selon les personnes et les moments. Elle se manifeste par diverses expressions dans la présence. Elle est une expression de par sa verticalité, son équilibre, sa tension, sa respiration, son occupation de l’espace, son rythme interne.

La posture enfin, est la capacité d’ouverture. Nous y découvrons différentes portes d’accès à nous-mêmes. Nous devenons ajustables et acceptons de penser de manières variées. Nous entrons en relation avec la profondeur, dépassant les cinq sens pour vivre en conscience des aspects subtils de notre organicité : l’expérience de notre dimension somesthésique. Puis nous comprenons l’interaction avec l’environnement. Cette plasticité, cette ouverture au changement est la posture. Elle est, par le corps exposé, fenêtre sur soi et sur le monde, à l’interaction des flux qui entrent et sortent du dojo. Vivre le changement et sentir l’interdépendance des différentes instances qui nous composent, les harmoniser, se fondre dans le mouvement de va et vient entre perception et désir d’agir, voilà la posture de zazen.

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L’assise silencieuse ne peut être ni un moyen technique, efficace, auquel il faut se contraindre, ni un objectif à atteindre. C’est, dans le meilleur des cas, le moment d’une présence, un présent, dans le sens de cadeau et d’acte de don, et aussi un moment inscrit hors du temps fonctionnel, le Présent. Ce présent n’est pas un point fixe qui se déplace dans l’horizontalité du temps, ce n’est pas une expérience suspendue hors de cette continuité, ni un cycle de renouvellement. C’est plutôt une étendue de temps et de matière sans caractéristique propre, traversée par toutes les formes possibles, unifiée par la capacité de métamorphose de l’esprit vaste.

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La première chose à observer est le ralentissement extrême. Nous rentrons dans la lenteur et laissons courir l’activité ordinaire du mental et du corps. C’est comme se trouver à l’abri d’un vent violent et l’entendre filer au-dessus de nos têtes. Par cette lenteur notre activité interne se déploient, apparaissent les points fixes, les agitations, les rumeurs. Peu à peu se dessine notre contours corporel et perceptif, nous voyons apparaître des angles morts dans la perception de nous-mêmes, des zones insensibles dans le corps. Alors il nous faut bien considérer que zazen est une pratique globale de l’être-là.

La totalité de nos constituants est concernée : le corps avec les sens, la profondeur sensible des organes, des ensembles musculaires, ligamentaires, osseux, l’émotion, la réflexion, l’imaginaire, la construction de la pensée. Nous voyons clairement le déploiement incessant de l’activité, et par l’apparente immobilité, la suspension de toute action volontaire. Chaque chose nous fait signe et nous commençons à entendre, à lire ce qui s’annonce. C’est notre intention en pratique : saisir les signes qui déploient ici et maintenant la danse des phénomènes sur fond d’espace infini.

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Les occidentaux ont une perception du corps qui est souvent déficitaire, un apprentissage est souvent nécessaire pour retrouver une certaine proximité avec la sensation corporelle. Nous identifions le corps à un ensemble somatique, mécanique, dont nous prenons soin, au mieux comme d’un jardin pour sa beauté, sa santé, son efficience. Cette conception est insuffisante pour comprendre le sens de la méditation assise. Pouvons-nous concevoir l’ensemble de ce que nous sommes comme un tout intelligent qui, une fois relié et unifié dans ses grandes fonctions ouvre pour l’homme à une juste compréhension de ce qu’il est ?

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Si nous maintenons la posture par la volonté, voulant correspondre à l’image que nous entretenons, à une représentation de ce que nous devons être en zazen, nous ne pouvons nous détendre, nous abandonner et recevoir les signes d’une ouverture, une manière d’être plus accueillante. Il est nécessaire de laisser tomber tout vouloir et tout désir de conformité pour accéder à une conscience de soi plus profonde. Cette attention ne se fait pas spontanément il est nécessaire d’être accompagné sur cette voie.

L’éducation du corps est presque un préalable à la pratique de zazen, Elle facilite la compréhension et nous soulage des malentendus qui sont du à notre incapacité à percevoir les messages corporels. C’est un véritable travail d’émancipation du ressenti corporelle qu’il faut poursuivre pour ne plus être soumis au mental qui rigidifie, contraint et empêche toute expression unifiée de notre personne.

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Si la présence est au-delà de toute forme, elle n’est pas pour autant dénuée de forme, c’est-à-dire de conscience. C’est la forme, comme conscience et non comme conformité à un modèle. La conscience reconstruit a posteriori et organise le vécu. Elle oeuvre à comprendre la posture et à l’apprécier, elle renouvelle notre représentation du monde avec finesse. La posture juste est toujours à venir.

Claude Magne

Nous remercions Claude pour son autorisation à publier ces extraits issus d’enseignements transmis durant des temps de retraite.

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Le respect de soi

La notion de respect de soi dans l’approche bouddhiste est singulière. Dans notre culture, la notion de respect de soi est souvent associée à la connaissance de ses propres limites et du fait de savoir les respecter, et de les faire respecter. Il s’agit de ne pas se laisser imposer des choses à faire ou à dire qui ne nous correspondent pas ou qui ne sont pas en accord avec nos convictions.

Le respect de soi commence par la connaissance de soi et l’acceptation de soi. Connaitre ses défauts, ses manquements, ses dysfonctionnements, etc, et savoir les accepter pour ce qu’ils sont, des lieux de travail.

Notre fonctionnement, basé sur la saisie d’un soi réellement existant, durable et autonome, nous amène à dépendre de nos représentations. Et nous sommes très attachés à nos représentations qui, pour nous, sont notre réalité.

Notre fonctionnement 

L’être humain, riche d’un potentiel de sagesse et doté d’immenses qualités, est connaissant, capable d’expérimenter. C’est sa caractéristique même, mais sa manière de connaitre lui-même, les autres et le monde est limité, conditionné par un fonctionnement centré sur lui-même.

Lorsque nous disons « moi », de quoi s’agit-il au juste ? Nous sommes doté d’un corps, et au travers de nos sens, nous avons accès à nous-même, aux autres et à ce qui nous entoure. Notre rapport aux objets de perception s’établit sur base des différents fonctionnements de l’esprit, et nourrit par les émotions d’attraction, de répulsion ou d’indifférence, nous en avons une connaissance subjective.

Pour un même objet de perception, selon la personne qui l’éprouve, l’expérience peut être du domaine de l’attirance ou du rejet, du sentiment de supériorité ou d’infériorité, de la comparaison, de la réjouissance, de l’ouverture, de l’inquiétude, etc. Cela donne, au bout du compte, une attitude d’esprit faite d’un mélange d’événements mentaux qui peuvent être très sophistiqués et qui décident de notre réaction face à la situation rencontrée.

Ainsi, ce « moi » est une identification sans cesse répétée à un corps, support des expériences sensorielles, mentales et émotionnelles qui nous font expérimenter le monde, les autres et nous-même au travers du filtre de nos habitudes mentales. Cette identification est ce qui est appelé la saisie égocentrée, parfois traduit par ego, mais ce terme prête à confusion parce qu’il ne recouvre pas le même sens que dans l’approche occidentale.

Nous nous identifions à ce mode de connaissance, c’est-à-dire que nous limitons notre connaissance en nous identifiant à ce processus, alors qu’il y a plus à connaitre. Notre mode de connaissance est ainsi conditionné par nos perceptions et nos tendances. Ceci est fondé sur une méprise qui est surtout le fait de ne pas voir ce qui est véritablement.

Ce qui nous amène à voir, sur base de nos représentations, « notre » réalité que nous prenons pour « la » réalité. C’est un aspect que nous pouvons très facilement accepter conceptuellement, mais au quotidien, nous sommes fascinés par ce que nous percevons et pouvons difficilement, en situation, remettre en question notre perception des choses.

Nous sommes certain que ce que nous percevons est la réalité, que notre réaction émotionnelle dans une situation, quelle qu’elle soit, est justifiée par le comportement des autres. Pourtant, l’autre n’est que la circonstance de ma réaction émotionnelle, l’émotion m’appartient, comme il m’appartient de la voir ou pas, de la suivre ou pas, d’en assumer la responsabilité ou pas.

Il s’agit là d’une étape importante, parce que nous ne pouvons changer que ce que nous acceptons. Et accepter de reconnaitre, par exemple, que ce n’est pas l’autre qui m’énerve, mais que c’est moi qui m’énerve au contact de l’autre parce qu’il ne fait pas ou ne dit pas ce que j’attends de lui.

Il nous parait évident que les situations devraient se dérouler comme nous l’envisageons, parce que c’est « ainsi » que cela doit se passer ! Sans vraiment prendre en compte que tout ne dépend pas de nous, que tout change d’instant en instant et que nous sommes bien incapable de savoir ce qui se passera l’instant suivant…

Et pourtant nous continuons à penser que les choses devraient se passer comme « je » crois qu’elles devraient se dérouler. Et comme cela ne marche pas vraiment, nous réagissons avec colère et impatience !

Ce qui n’est pas un problème en soi, si ce n’est que cela génère de l’insatisfaction pour soi et pour les autres, si ce n’est que cela renforce notre tendance à réagir face à ce qui nous dérange par le rejet et que cela augmente encore et encore les causes de souffrance. D’où la proposition bouddhiste d’apprendre à appréhender notre fonctionnement avec bienveillance et douceur.

Se respecter, c’est respecter son éthique

L’éthique bouddhiste a pour but de nous permettre de faire des progrès sur le chemin. Pour ce faire, notre attention et notre vigilance sont appelées à être mobilisées pour reconnaitre ce qui, dans notre fonctionnement, nous éloigne du chemin et ce qui nous en rapproche.

L’éthique bouddhiste est basée sur le fait que nos actions, que ce soit au niveau du corps, de la parole ou de l’esprit, ont des conséquences pour nous-mêmes et pour ce qui nous entoure, les autres comme notre environnement. Il y a deux sortes d’actions, les actions positives et les actions négatives.

Les actions négatives sont celles qui prennent leurs racines dans les trois émotions perturbatrices que sont le désir/attachement, l’aversion et l’ignorance. Elles tendent à avoir des conséquences néfastes pour nous ou pour les autres.

Les actions positives sont celles qui sont exemptes d’émotions perturbatrices et qui, au contraire, sont motivées par la générosité, l’amour, la compassion et le discernement. Elles tendent à avoir des conséquences positives pour nous et/ou pour les autres.

Dans le bouddhisme, une action n’est ni bien ni mal en elle-même, mais est favorable ou défavorable selon la motivation et l’état d’esprit qui la sous-tend. Il s’agit de développer la conscience que les actes dans lesquels nous nous engageons nous éloignent ou nous rapprochent de notre but. Ce qui induit une clarification de notre motivation, qu’est-ce que je veux vraiment, vers quoi je souhaite aller et qu’est-ce que je suis prête à mettre en oeuvre pour y parvenir.

Sur base d’une conscience des conséquences de nos actions des corps, parole, esprit, il s’agit d’être attentif à ne pas se laisser emporter par les mouvements émotionnels qui nous traversent, mais s’entrainer, encore et encore, à ne pas les suivre. Cet entrainement se cultive dans la méditation et se décline dans nos relations au quotidien.

Le respect de soi comme respect de son éthique

En respectant l’éthique que nous choisissons, parce qu’elle est un soutien, un guide vers le but visé, nous nous respectons en ce sens que nous mettons en oeuvre ce qui est le plus important pour nous. Ce faisant, nous assumons la responsabilité de nos actes et de notre chemin.

De plus, c’est parce que nous posons ce regard bienveillant et vigilant sur nous-même que nous pouvons considérer les autres avec cette même vision. Ainsi, se respecter soi-même amène, de façon naturelle, à respecter les autres et leurs propres valeurs.

Se respecter, c’est vivre l’éthique, attentif à ne pas nuire et à accomplir le bienfait d’autrui, en considérant nos manques, en s’appuyant sur nos ressources et en cultivant une plus vaste connaissance de notre fonctionnement.

Trinlé

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Dharma, un soutien dans mon quotidien.

Un nouveau témoignage, d’une toute autre nature que celui de la semaine passée. Philippe Levan, ingénieur aéronautique et bouddhiste, partage avec nous l’expérience qu’il a de sa pratique au quotidien. Le texte est direct, il nous parle comme si nous étions assis à sa table. Il n’hésite pas néanmoins à aborder les pièges, les questionnements, les hésitations et les petites victoires de quelqu’un qui s’entraine à vivre le dharma, l’enseignement du Bouddha, comme un soutien au quotidien.

Dharma, un soutien dans mon quotidien.

Je dis bien « mon quotidien » et non « le quotidien » : car ce dont je peux témoigner n’est que l’expression de mon expérience, d’aujourd’hui. Je ne peux donc pas tenir lieu de référence ou de vérité, sauf si comme disent les enfants « on aurait dit que je serais » Bouddha ! » Mais je m’en serai rendu compte… Et si le Dharma est universel, son soutien quotidien est singulier, car chacun en est où il est. Evidence évidente direz-vous, tautologie (non, non, une tautologie n’est pas une blague à Toto, c’est frôler lapalissade, en un mot), mais dire que l’on part d’où on en est et que l’on fait de notre mieux est pour moi plus souvent une rhétorique familière qu’un comportement incarné ; comme si vouloir être autre ou ailleurs était cardinale de mon profil occidental…

Ensuite le Dharma n’est pas une voie qui se pratique uniquement dans un temple avec les happy few, genre je suis dans le Dharma quand je passe la porte du private club et je n’y suis plus qu’en j’en sors. Le Dharma en tant qu’enseignement a pour essence d’être au monde, tout comme une bonne lecture nous nourrit dans la vie au-delà de l’ambiance feutrée de la bibliothèque, il s’applique à notre vie courante et soutien notre façon d’être au monde et aux autres, de penser notre vie. Et son but. Non pas dans l’optique de donner une n-ième vision cosmologique/modèle du monde ou de fournir un package dogmatique qu’y-à-qu’à-faire-comme-ça, mais de proposer un chemin dans le but simple et immense de nous libérer, ou au moins de progresser, approche humble du randonneur adepte du pas à pas.

Pour ce faire, sachant que le Bouddha a donné 84000 types d’enseignement, je me contente chaque jour d’appliquer les 84000 propositions. Et voilà ! Fastoche. Non c’est une blague. J’en applique juste 64250… Plus pragmatique, voici quelques thèmes choisis.

De la méditation.

On peut méditer pour se détendre ou pour vivre autrement l’expérience présente, reconsidérer la relation sujet-objet, et donc modifier notre relation aux sensations, émotions, pensées ; simplement vivre mieux. Certaines pratiques de relaxations, développements personnels ou gymnosophies peuvent aussi aider en cela. Toutefois, on peut aussi méditer pour aller à la rencontre de la réalité ultime des phénomènes, y compris celle notre propre esprit, et cela est proprement libérateur… Ainsi sommes-nous ici dans une méditation dont l’optique est fondamentalement spirituelle, avec une vue un chouilla plus vaste. Il existe plein d’autres méditations ; la seule bonne pour moi étant celle qui répond à la question « Quelle est ma motivation, quelle est mon aspiration ? » ou plus banalement « Que veux-je !? » (Non, non, pas « Dans quelle étagère? »). Dans ces différentes optiques, je fais ma tambouille journalière.

J’apprécie l’apaisement et le recentrage de la méditation. Elle m’est aidante dans un monde ou l’instantanéité et le tout-tout-de-suite est de mise (vite vite mon mail !) et l’éparpillement (je pense simultanément à hier, demain, je fais la vaisselle en même temps que je téléphone et que je dis à mes proches « mmh… oui, oui, bien sûr, j’entends »…) nous met actif dans tout, mais présent à rien.
Elle m’aide doucement à passer du faire à l’être.

Je traverse aussi plus facilement les situations (genre le collègue hargneux ou lorsque les choses ne sont pas comme je voudrais impérieusement qu’elles fussent.) où, au lieu d’être « embarqué » par l’émotion, j’observe sans jugement cette même émotion qui me traverse, donnant l’espace et le recul salvateur. Alors je peux poser un comportement plus adéquat, plus réfléchi, plus posé, plus souple, qu’un direct instinctif « sgron gneu gneu , vous, vous, vous… ». Même type d’observation neutre que celle pratiquée sur le coussin, où toute expérience ou évènement intérieur est simplement regardé, sans jugement. Le nuage qui passe. Non pas pour se transformer en vache regardant passer le train dans une extase bovine, mais en oiseau au regard perçant qui considère tout l’espace du ciel bleu, et ne suit pas le nuage comme s’il n’y avait « que » le nuage.

Entre suivre complètement une émotion (je kiffe un max les fraises, m’en montrez pas sinon je gloutonne… et j’ai mal au ventre) et la refouler (attention ici, terrain dangereux ; pas genre mines, mais bombes à retardement) j’aime à me dire que la capacité de choix dans l’instant est quelque part l’expression d’un libre arbitre, d’une capacité de choix sur base d’éthique, de clarté, de compassion, un brin d’éducation à une liberté qui me plaît bien, la liberté intérieure. Je m’applique alors à prendre cette voie entre les deux.

Bien sûr, plein de fois (en majorité d’ailleurs, dois-je avouer pour ne pas passer pour un faux yogi 5ème dan.) ce n’est pas si simple (enfin si, c’est simple, mais pas facile.) mais les moments où « ça marche » se multiplient, et cette victoire « sur soi » est plus nourrissante et durable qu’une quelconque victoire sur un adversaire extérieur ! J’ai un indicateur simple : dans des situations déjà expérimentées dans le passé, plus de quiétude, plus d’attitude apaisée de mon interlocuteur (on est co-auteur de ce qui est en train de se passer entre nous), et le sentiment ténu mais ô combien réjouissant d’avoir été juste ou au moins d’avoir essayé de l’être. Pour l’autre. Pour soi. Et quelque part pour le monde entier.

Du bienfait, de la compassion, de la générosité, de l’« être juste ».

84000 c’est trop pour ma petite personne. Alors il est une stance parfois citée pour résumer le bouddhisme en une phrase (the bouddhist digest!) « Arrêter ce qui est nuisible, cultiver le bénéfique, maîtriser son esprit ». Même les publics non familiers connaissent un peu cela, une image courante étant Bouddhisme = Compassion (+ exotisme et yeux bridés). Pourquoi ne pas s’efforcer de l’appliquer chaque jour ?

Parce que c’est un dogme ? Non. Trop l’esprit critique pour suivre un dogme.

Parce que c’est une loi ? Raté. La loi n’a de sens que si elle a un sens (si si, relisez bien) et donc elle n’est plus loi puisqu’elle est sens, c’est-à-dire que je peux la suivre sans qu’elle me soit légiférée…

Parce que je veux être un bon pratiquant ? Inconsciemment, sûrement ; qui ne veux pas être « bon » dans la voie qu’il se donne?

Parce que je veux être quelqu’un de bien ? Sûrement, mais je travaille cette motivation car si elle peut avoir un effet bénéfique à court terme, l’intention, la motivation sous-jacente, l’état d’esprit qui préside à cette tendance mérite que je la regarde crûment, afin d’éviter de tomber dans le piège de l’être de surface. La qualité d’un acte se mesure à l’aune de l’état d’esprit qui le préside.

Parce que c’est libérateur ? Oui, complètement oui, mais je ne suis spirituellement pas assez avancé pour dire que cela soit le moteur unique pour moi.

Alors pourquoi ? Parce que ça me procure de la joie.
Faire le bien. Etre aux autres. Donner sans attente. Aimer. Prendre soin du monde. Suivre son éthique plutôt que ses impulsions…
Cela me nourrit, m’énergise dirais-je. Bien sûr je n’y suis pas tout le temps, très loin de là ; il y a les tendances, les rails comportementaux, les émotions débordantes ; et qu’en j’y suis, dans ces erreurs, blessures que j’inflige à l’autre, les voir me rend content de les voir mais affligé de leur présence ; pas envie de recommencer ; dégoût. Alors dans un élan de compassion pour moi-même je me dis « feras mieux la prochaine fois », avec une conviction profonde, celle qu’être bienfaisant est joie et libération, un peu comme quand on réalise intimement que finalement, aimer les autres (au sens compassionné, pas au sens émotionnel) est bien plus facile et léger que de ne pas les aimer…

Tous les jours, essayer d’être bénéfique (tranquillement, opiniâtrement, avec ces erreurs fondement du processus d’apprentissage), en remplissant l’espace de bonnes tendances qui ne laissent pas d’espace aux mauvaises, tout comme la lumière qu’on allume inonde celui de l’obscurité. Magique. Alors je me couche en revoyant trois de ces bienfaits de la journée ; et s’il y a des ratés … euh… un peu plus que trois… je les regrette et les veillerai demain.

De la Prajnaparamita (Sagesse Transcendante)

L’approche des sagesses est enrichissante : essayer d’approcher le réel, comprendre et expérimenter sa réalité ultime, son essence, sa transcendance ou son immanence est soutenant pour ma relation quotidienne au monde.

Prise de tête ? Pas forcément. Prenons l’exemple de l’impermanence.

Même sans aller jusqu’à l’impermanence subtile décrite dans les enseignements (sur base de laquelle les choses ne sont « manifestes» que parce que justement elles se transforment en permanence, les rendant vides d’existence intrinsèque – vite une aspirine !), simplement l’impermanence grossière, celle qui amène à notre raison ce que nos sens ne voient pas, à savoir que rien n’est figé  (ni vous, ni moi, ni nos émotions, ni la pomme sur la table, ni la table, ni la maison, ni cette colline ou cette montagne, ni cette terre, et ni même cet univers) donne à ce qui m’entoure une valeur bien plus grande, justement parce que cela ne sera pas toujours. Arrive alors une volonté, en apparence (seulement…) paradoxale de prendre soin, non pour que cela dure, mais parce que sa non-durabilité le rend précieux ! Ainsi les choses difficiles me semblent plus légères, car elles (ou ma façon de les vivre) se transformeront un jour ou l’autre. Et si les bonnes choses ont une fin, cette fin est plus naturelle, comme dans l’ordre naturel des choses. Ce sentiment est comme toucher un peu l’état d’être en accord avec ce qui est. Cool.

De la même façon, poser sur la réalité, outre le regard de l’impermanence, celui aussi du composé, de l’interdépendance, et encore plus celui de la vacuité, change doucement (piano, piano) ma relation au monde qui m’entoure, vers plus de justesse. Ce n’est plus la simple explication du monde que je quête, mais la rencontre de son essence. De ce qu’il est. De ce qui est. De l’invisible. Et peut-être de l’indicible. Du non conceptuel.

Tout comme l’enfant qui croit au loup dans le bois fera des kilomètres pour contourner le bois alors qu’il n’y a pas de loup, ma façon de me comporter dans le monde dépend de ma représentation du monde, de mes croyances.

Et pour ne pas planer à 10000 ou me prendre pour un personnage de « Matrix », mon indicateur ici est simple également : c’est quand je vis la même impression que lorsque je reviens par exemple d’un voyage ou d’une pause où j’ai « décroché », et que les composantes de ce qui m’entoure prennent des importances nouvelles (en plus ou en moins), plus justes, comme une nouvelle « reliance » à ce qui est.

Mais mon chemin est long, car trop pris par le mental je manque de réalisation : dans le triptyque bouddhiste « Etude (apprendre), Réflexion (réfléchir, questionner, approfondir l’enseignement), Méditation (pour actualiser le savoir, expérimenter, toucher par l’expérience directe et non plus par les concepts) » je suis encore trop dans « Etude – Réflexion » comparé à « Méditation », trop dans le concept comparé à l’expérience. Mais les progrès sont motivants !

Et voilà trois thèmes parmi d’autres. Je traiterai les 83997 autres la prochaine fois, mais ayant évoqué la réalité indicible, il est temps d’y passer, donc j’arrête le dicible !

Et je vous laisse à votre vérité et à votre expérience, vous la souhaitant libératrice.

Philippe Levan

Humour Méditation

Le miel et le rasoir

Ce blog laisse également la place à ce que l’on pourrait appeler une dimension poétique de la pratique spirituelle. Le texte qui suit nous parle de l’impermanence, de nos attachements, de l’altérité et de la foi, mais il n’explique pas, il donne à éprouver.
 L’une ou l’autre précisions pour mieux comprendre :

Le terme « lama » dans le bouddhisme himalayen (vajrayana) recouvre de nombreuses significations différentes. Outre la personne du lama, qui se caractérise par des qualités de bienveillance et de discernement, ce terme fait aussi référence à l’esprit lui-même dans sa dimension de sagesse, c.à.d l’esprit dont les obscurcissements ont été dissipés. Cette dimension de sagesse (dharmakaya) se déploie sous différentes formes  (sambhogakaya et nirmanakaya) pour accomplir le bienfait des êtres. Cette approche est liée à la notion de nature de bouddha présente en chacun. Autrement dit, les qualités de sagesse sont déjà présentes en chacun de nous et le chemin consiste à les dévoiler. « Prier le lama » est une façon de se relier à ces qualités. En fait, on active ces qualités déjà présentes afin de dissiper ce qui nous empêche de les reconnaître. C’est tout le principe du vajrayana et c’est à cette dimension que fait référence le texte de Véronique.

« Avec tous les êtres, dans tout l’espace, nos mères » fait référence à la dimension de compassion. Le chemin ne se parcourt pas uniquement pour nous-mêmes, mais en y associant tous les êtres qui sont dans la méprise de leurs qualités et donc dans le mal-être et la souffrance.

Nous espérons que cette courte explication permette d’apprécier le texte dans toute sa profondeur.

 

Le miel et le rasoir

 

Squelettes

Enveloppés de soie

Nous contemplons les fleurs

Ueshima onutsura

Ce serait une chambre d’hôpital.

Un seul lit.

Sur une table, près de la fenêtre, seraient posés des fleurs, un cadre, un chapelet, un lecteur CD.

Près du lit, assise sur une chaise, une femme.

Dans le lit, sous le drap sans pli, une vieille dame, la tête tournée vers la fenêtre.

Les yeux sont grand-ouverts, fixes, sans expression.

La femme assise regarde ce visage.

Ce serait un mois d’hiver entre chien et loup.

Ce serait un dimanche opaque.

Ce serait un jour pour mourir.

Encore une séparation, encore une douleur.

Même si rien n’est survenu dans la soudaineté, même si rien de tout cela ne m’est étranger.

Même si l’accompagnement se fait dans le calme, la douceur, la tendresse.

Même si les enseignements du Bouddha…

Encore la sidération et le chagrin.

 

« Avec tous les êtres dans tout l’espace, nos mères, nous prions le lama, précieux bouddha ».*

 

C’est de ce corps aux jambes scyanosées que je suis née.

C’est dans ce corps, à présent décharné, que mes tendances m’ont projetée.

C’est un corps semblable, qu’à mon tour j’aurai.

C’est ce que je cherche à oublier chaque matin au réveil.

C’est ce qui parfois se rappelle à moi au milieu de la nuit.

La peau est devenue un parchemin, la chair s’est retirée jusqu’à faire paraître les yeux démesurés.

Le crâne est arrivé.

Le squelette a émergé.

Ne laissant rien de connu de ce corps que j’ai tant de fois lavé, habillé, nourri ; de ce visage tant de fois embrassé.

Le transformant au point de ne plus pouvoir le nommer « mère ».

 

« Avec tous les êtres dans tout l’espace, nos mères, nous prions le lama, corps du dhama omniprésent, dharmakaya »*

 

Quel est le lien entre ce corps et ce mot ?

Mère, c’est une fonction, un lien, une histoire.

Ma mère, c’est un être vivant, des yeux qui me reconnaissent, une voix qui me nomme.

Mais si je n’ai plus ce regard pour me valider dans ce lien, en quoi est-elle encore ma mère ? En quoi suis-je encore sa fille sinon par le souvenir seul de ce qui a été vécu, partagé…. c’est-à-dire ce qui n’est plus.

Que sommes-nous à présent l’une pour l’autre ?

Je crois que ma souffrance ce loge là, à cet endroit précis où vacille mon identité.

Je suis déconcertée : devant qui suis-je ? Devant quoi suis-je ? »

Que se passe-t-il dans cette chambre ?

 

« Avec tous les êtres dans tous l’espace, nos mères, nous prions le lama, corps de grande félicité, perfection des qualités éveillées, sambhogakaya »*

 

Je la regarde. Je la touche. Je la respire. Encore et encore chercher le réconfort, reporter l’échéance ultime. Une répétition comme une consolation. Recommencer à nourrir les sensations de peur de les perdre. Ne pas cesser de ressentir exactement de cette manière-là.

La douceur douloureuse. Serait-ce donc cela, le miel sur le fil du rasoir ?

Je l’enveloppe du regard. Souffre-t-elle ?

J’apaise mon souffle. A-t-elle peur ?

Je prends refuge. Sait-elle que quelqu’un est près d’elle ?

Je récite des mani. Que se passe-t-il dans son esprit ?

 

« Avec tous les êtres dans tous l’espace, nos mères, nous prions le lama, corps d’émanation de la compassion éveillée »*

 

Ce serait une chambre d’hôpital.

Un seul lit.

Sur une table, prés de la fenêtre, seraient posés des orchidées jaunes, la photo sépia d’un jeune couple, un chapelet de bois de rose, une statuette de la vierge Marie, un lecteur CD dont s’échappe un concerto pour violon.

Dans le lit, recouverte de son dernier drap blanc, une vieille dame aux yeux fermés, au souffle suspendu.

Près du lit, le front posé sur ce corps en partance, une femme murmure tendrement « Je vous salue Marie pleine de grâce… »

Ce serait un mois de décembre entre le jour et la nuit.

Ce serait un dimanche.

Ce serait un jour comme un autre pour cesser de respirer.

 

amala

 

* Prière issue de la Sadhana du Grand Djétsun répa

 

Véronique Durand

 

Et si l’esprit n’était pas limité au cerveau ?

Cet article est issu de Buddha Weekly, un magasine en ligne (en anglais) qui explore les informations, les thèmes et les commentaires sur le bouddhisme partout dans le monde. Il est mené par Lee Kane qui nous a autorisé à publier la traduction française d’un article sur l’esprit (par contre les liens qui envoient à d’autres articles ou sites sont en anglais)

Nous publions cet article car il ouvre une réflexion sur l’esprit  dont les conclusions permettent de clarifier le sens de la méditation et rendent pertinent certains aspects du bouddhisme qui apparaissent comme des croyances (le karma et la réincarnation per exemple). 

L’idée de cette publication est d’ouvrir une champ de réflexion et, peut-être, de mieux comprendre l’enseignement du Bouddha. 

Comment l’esprit est-il différent du cerveau ?
Il se pourrait que la science soutienne la thèse d’un esprit et un cerveau distincts

« Nous ne savons pas ce qu’est la conscience ou ce qu’elle fait » dit le Docteur Rupert Sheldrake, dans sa conférence L’esprit n’est pas le cerveau. « Il n’y a aucune raison connue, évidente du pourquoi nous devrions être conscients de quoi que ce soit, ou comment l’esprit fonctionne réellement. » Sa conclusion, basée sur des recherches significatives, fut : « … L’esprit est comme un espace. C’est-à-dire qu’il n’est pas limité à l’intérieur de la tête. »

Il y a une acceptation scientifique grandissante en faveur de la thèse de Monsieur Sheldrake, qu’il exposa en partie dans sa conférence. En fait, la science de la conscience est un des domaines les plus passionnants de la science aujourd’hui.

Le Professeur Eccles, prix Nobel en neurosciences, soutient la théorie selon laquelle l’esprit est une entité à part et ne peut être « réduit au seul fonctionnement d’une cellule cérébrale, » selon la Fondation : Horizon Research Foundation.

Un article sur le site de la Fondation affirme « nous ne serons jamais capables d’expliquer la création de la conscience au travers des fonctionnements électrique et chimique du cerveau. » Pour les sceptiques, il est important de réaliser que tous les articles sur le site web de la Fondation sont analysés ou préparés par des scientifiques directement impliqués dans la recherche.

Les Professeurs Karl Popper et John Eccles ont démontré que les recherches indiquent qu’un évènement conscient se produit avant l’évènement cérébral concerné, dans Le soi et son cerveau. Ces éminents scientifiques ont élaboré une théorie qui montre non seulement les évènements mentaux et conscients comme distincts du cerveau, mais aussi un esprit conscient distinct des deux.

La conscience continue-t-elle après la mort ?

Un article bien documenté, Approches vers la résolution du mystère de la conscience souligne la notion de conscience survivant à l’évidente mort cérébrale. « La conscience semble être présente chez 10-20 pour 100 de ceux qui sont en arrêt cardiaque. » L’auteur explique, « les cellules cérébrales ont besoin de communiquer en utilisant des pulsations électriques… Comment se fait-il alors que nous ayons un scénario clinique dans lequel il y a un sévère dysfonctionnement cérébral, le pire possible, et une absence d’activité électrique dans le cerveau, mais, en même temps, d’une certaine manière, un processus de pensée avec raisonnement, création de mémoire et conscience qui continue et est même intensifié ?

D’un point de vue bouddhiste, la dualité de l’esprit et du cerveau a été admise dès le début et, à certains égards, semble un soutien crucial pour les croyances essentielles bouddhistes, celles de la renaissance et du karma.

« Il y a de nombreuses explications à ce qu’est l’esprit et aux différentes sortes d’esprit, » dit Sa Sainteté le Dalaï Lama dans un discours en Angleterre en 2008. « Par exemple, il y a une différence dans le Bouddhisme entre les esprits primaires et les facteurs mentaux. » Sa Sainteté explique les deux catégories : « L’une est produite par la perception sensorielle qui est la condition qui la génère et l’autre est dépourvue de perception sensorielle qui est la condition qui la génère. »

Jusqu’à il y a peu, ces croyances ont été considérées comme essence de la foi, soutenues par autorité du Bouddha, et défendues avec éloquence dans le débat sur le Dharma [bouddhisme ndlr]. Un nombre croissant de scientifiques spécialisés dans la science de la conscience y apporte son soutien. Il se peut qu’une recherche prometteuse nous permette également d’ancrer le concept que nous avons de l’esprit, avec des preuves convaincantes.

Le Docteur Alexander Berzin, dans son discours La nature conventionnelle de l’esprit, décrivit cela de cette façon : « Vous pouvez décrire l’évènement d’après ce qui se passe physiquement – il y a le cerveau et l’histoire du chimique et de l’électrique – ou vous pouvez juste le décrire en termes d’expérience subjective. Donc nous parlons de l’expérience subjective lorsque nous parlons de l’esprit. » Il continua en expliquant que les quatre nobles vérités sont expérimentées par l’esprit.

Où est l’esprit ?

Monsieur Sheldrake, dans son discours L’esprit n’est pas le cerveau, est le premier à effleurer l’important débat « mais où est l’esprit ? » Il décrit l’esprit ressemblant à un espace, semblable au champ gravitationnel du monde, « qui s’étend bien au-delà de la terre. »

Ces espaces sont à l’intérieur et autour des systèmes qu’ils organisent, dit-il, renvoyant à des exemples tels que les aimants et la gravité qui s’étendent au-delà. « Et je pense que c’est également vrai pour nos esprits. »

« Si l’esprit est simplement le cerveau, ce qui est l’hypothèse normale dans les mondes universitaire et médical, » continue- t-il, « alors l’activité mentale n’est rien d’autre que l’activité cérébrale, » une notion qu’il déconstruisit alors avec minutie comme étant erronée. Il utilise un exemple élaboré du mécanisme de la vision, de la vue, décrivant en premier les mécanismes physiologiques et neurologiques, et démontrant ensuite les deux options claires qui expliquent comment nous « voyons » vraiment. Soit les images sont projetées à l’intérieur de notre crâne ou de notre cerveau sous la forme d’une « réalité virtuelle », soit elles sont exactement comme elles apparaissent, parce que l’esprit est capable de projeter ou voir au-delà du cerveau.

Il illustre ceci en posant la question, « Pouvez-vous influencer quelque chose rien qu’en le regardant ? » Il cite des recherches qui indiquent qu’environ 90 pour 100 des gens peuvent « sentir » que des personnes les regardent, même quand elles leur tournent le dos. Dans les recherches scientifiques, il y a des preuves  écrasantes qu’il s’agit bien d’un phénomène authentique. Il illustre avec des exemples de formation dans l’industrie de la sécurité, où il est commun de former le personnel de sécurité à ne jamais regarder directement le dos d’un suspect.

Le Dalaï Lama exposa la nature de l’esprit lors d’un discours en 2014 à Cambridge : « En général, l’esprit peut être défini comme une entité qui a la nature de la simple expérience, c’est-à-dire, “ clarté et connaissance.“ C’est la nature connaissante, ou organisation, qui est appelée esprit, et ceci n’est pas physique. »

« La littérature bouddhiste, les soutras comme les tantras, est remplie de débats approfondis sur l’esprit et sa nature. Les tantras, en particulier, traitent des divers niveaux de subtilité de l’esprit et de la conscience… avec mention des diverses subtilités des niveaux de conscience et leur relation aux états physiologiques tels que les centres d’énergie vitale dans le corps, les canaux énergétiques, les énergies qui circulent en ceux-ci et ainsi de suite. »

La théorie de l’esprit espace

Le concept des canaux énergétiques et du corps énergétique – tel que décrit par Sa Sainteté – a été bien admis depuis des siècles dans la majorité des pays  asiatiques. Dans la visualisation bouddhiste, dans certaines pratiques, esprit et énergie sont visualisés de manière naturelle comme étant séparés du corps. Ceci rejoint la science nouvellement émergente dans le domaine de la recherche sur la conscience.

S’alignant sur cette pensée ancienne, le Docteur Sheldrake – pionnier dans la théorie de la conscience-espace – explique l’esprit comme un espace semblable au champ de gravité. Il soutient cela avec des recherches approfondies, et illustre par des exemples tels que les vols d’oiseaux et les bancs de poissons, qui semblent presque communiquer par télépathie. Il fouille également dans les théories sur la particule quantique en soutien de sa propre théorie.

Pourquoi ceci est-il important ?

Le cerveau, en termes relatifs dualistes, est un outil physique, impermanent. L’esprit n’est pas impermanent. Ceci est mis en évidence de manière plausible par les recherches des Professeurs Popper et Eccles qui décrivent « Un esprit conscient » indépendant du cerveau, qui fonctionne même après l’arrêt cardiaque.

Un esprit conscient, survivant à l’arrêt cardiaque, est rassurant pour ceux d’entre nous qui croient que l’esprit survit à la mort. Bien que la renaissance soit soutenue par diverses autres recherches et études sur la mort imminente, la notion d’esprit conscient survivant à la mort physique ajoute une dimension nouvelle à la méditation sur la mort et à la pratique quotidienne.

Lee Kane

Merci à Marie_Charles Ferré pour sa traduction

arbre

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