La mort et la loi : réflexion sur la fin de vie

Dans le domaine de la fin de vie, la bonne solution n’existe sans doute pas, c’est bien souvent la moins mauvaise qui peut être envisagée. Préserver la vie à tout prix, quelles que soient les conditions, ne semble pas raisonnable, mais ôter la vie volontairement n’est pas envisageable. Ceci est le lieu même de la réflexion éthique.

Il n’est pas facile d’y voir clair entre les affaires médiatisées d’euthanasie dans lesquelles bien des notions sont amalgamées, sans parler de la méconnaissance de la loi Leonetti, même de la part d’une partie du corps médical. Par ailleurs, le manque de structures et de formation en soins palliatifs, ainsi qu’une carence de prise en charge de la douleur et de mise en oeuvre des soins de confort, n’autorisent pas un accompagnement de qualité pour toutes les personnes en fin de vie.

Or, le questionnement autour de l’accompagnement des personnes en fin de vie demeure essentiel. C’est la qualité de cet accompagnement qui décide des conditions du mourir de la personne.

Cet article clarifie les notions essentielles et donne les points-clés de la loi Leonetti. Cette loi du 22 avril 2005 (loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie) modifie et enrichit les lois précédentes sur le respect du droit des malades (loi du 4 mars 2002).

Pourquoi un tel texte dans ce blog ? Nous abordons régulièrement le thème de la fin de vie et de la mort sous différents angles (voir fin de l’article)  Tous nous allons la rencontrer ! Une de nos perspectives est l’accès à la connaissance ; apprendre à connaître la mort et les conditions du mourir dans ses différents aspects est un moyen de s’y préparer et d’aider les autres à le faire.

Anila Trinlé

Abandonner les expressions ambiguës

Certains qualificatifs, souvent véhiculés par les médias, devraient être abandonnés :

  • L’expression « euthanasie volontaire » est inappropriée car elle laisse penser – à tort – qu’il pourrait exister des formes d’euthanasie qui ne seraient pas volontaires.
  • De même, la distinction souvent faite entre euthanasie « active » et euthanasie « passive » ne correspond pas à la réalité thérapeutique. Elle sème le doute et entretient la confusion entre l’euthanasie et l’arrêt des traitements (qui sont, y compris dans les pays ayant légalisé l’euthanasie, des décisions de nature très différente). Pour aider à un juste discernement sur ces sujets complexes, l’Observatoire recommande donc fermement de ne plus utiliser l’expression « euthanasie passive ».
  • Les diverses expressions d’ »aide à mourir » (« aide médicale à mourir », « aide active à mourir », « aide à mourir dans la dignité », etc.) sont également ambiguës et même tendancieuses. Elles induisent l’idée que l’euthanasie et le suicide assisté seraient les seuls vrais moyens d’aider à mourir et que tous ceux qui s’emploient à accompagner les personnes en fin de vie sans pour autant provoquer leur mort (comme les acteurs de soins palliatifs) n’aideraient pas les patients d’une manière active, ou ne les aideraient pas d’une manière qui leur permettrait de rester aussi dignes que possible.

L’Observatoire National de la fin de vie déconseille donc d’adjoindre au mot « euthanasie » des qualificatifs qui, au lieu d’aider au discernement, viennent en réalité créer de la confusion et des amalgames qui obscurcissent la compréhension du débat.

Distinguer l’euthanasie des autres décisions en fin de vie 

Il est important de veiller à distinguer aussi clairement que possible l’euthanasie des autres décisions de fin de vie qui peuvent, aux yeux du grand public, lui ressembler. Ainsi l’euthanasie se distingue :

  • Du suicide assisté, c’est-à-dire le fait de fournir à une personne les moyens de mettre fin à ses jours elle-même. Euthanasie et suicide assisté sont donc tous deux caractérisés par une demande explicite du patient de mourir, mais dans le second cas l’assistance du médecin se limite à prescrire et/ou fournir à la personne concernée les substances qui lui permettront de se donner la mort.
  • De l’intensification de traitements antalgiques ou sédatifs dans l’objectif de soulager des souffrances persistantes, même si cette décision venait à avoir comme effet secondaire non voulu, une accélération de la survenue de la mort. En autorisant ce type de décision, la loi du 22 avril 2005 dite Leonetti protège désormais les soignants des risques judiciaires qu’ils encouraient auparavant.
  • De la limitation et de l’arrêt des traitements, c’est-à-dire de ne pas entreprendre ou d’interrompre des traitements devenus disproportionnés au regard de leur bénéfice pour le patient, ou qui ne visent qu’à le maintenir artificiellement en vie. La limitation et l’arrêt des traitements se distinguent alors de l’euthanasie : contrairement à cette dernière, il ne s’agit pas d’administrer un produit provoquant la mort, mais d’arrêter d’un traitement qui maintient de manière artificielle une personne en vie. Depuis la loi du 22 avril 2005, une telle décision est légale en France. Elle doit cependant impérativement s’accompagner de soins palliatifs. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, l’arrêt des traitements ne signifie pas l’arrêt des soins : en cas d’arrêt de la nutrition, de l’hydratation ou encore de la ventilation artificielle, il est impératif de continuer à dispenser des soins de confort et à lutter contre la douleur.

Les cinq principes fondamentaux de la loi 

  1. Maintien de l’interdit fondamental de donner délibérément la mort à autrui (conservation des textes antérieurs)
  2. Interdiction de l’obstination déraisonnable : est considérée comme déraisonnable l’administration d’actes « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. » L’acharnement thérapeutique peut être résumé comme une disproportion entre l’objectif visé par la thérapeutique et la situation réelle. Dans ce cas, l’équipe médicale peut décider de suspendre les traitements ou de ne pas les entreprendre. Dans tous les cas, la conduite des professionnels de santé doit être guidée par l’intérêt du patient et le respect de sa dignité, et les soins palliatifs doivent être garantis au patient.
  3. Respect de la volonté des patients en lien avec l’état du patient, s’il est en état d’exprimer sa volonté. Sinon, c’est le médecin qui prend la décision, après avoir recherché quelle pouvait être la volonté du patient (existence de directives anticipées, consultation de la personne de confiance, de la famille), et avoir respecté une procédure collégiale.
Respecter la dignité du malade

Respecter la dignité du malade

        Situation du patient conscient

La modification proposée et adoptée le 22 avril 2005 et publiée au journal officiel porte sur le droit au refus de traitement            et non sur le refus de soin. Abandonner les soins et laisser place à la souffrance est contraire au respect de la dignité de la personne. Il s’agit de cesser des traitements devenus inutiles et respecter le patient par une prise en charge globale : psychologique et physique (traitement de la douleur et soins de confort) et accompagnement du malade et de sa famille.

Situation du patient inconscient

Quelle que soit la situation, la volonté du patient doit toujours être recherchée. S’il est inconscient, il convient de rechercher l’existence ou non de directives anticipées ou la désignation d’une personne de confiance. S’il a rédigé des directives anticipées, elles vont aider l’équipe de soins à prendre la décision dans l’intérêt du patient pour l’arrêt total ou partiel des traitements.

La collégialité de la décision

Il est important de respecter le principe de collégialité de la décision et transparence de la décision. L’apport même de la loi est de garantir la collégialité de la décision pour éviter que des décisions soient prises unilatéralement et surtout de faire peser le poids de la décision sur un professionnel, le malade ou la famille.

Les directives anticipées

Les directives anticipées pourraient être assimilées à un contrat moral passé avec les équipes médicale et soignante et rassurerait ainsi le patient sur l’organisation de ses soins et du respect des limites fixées.

Cependant, les directives anticipées n’ont aucune valeur contraignante et sont révocables à tout moment. La loi va même plus loin en proposant une date de péremption de ces directives. En effet, les directives ne seraient valables qu’à condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience.

Le médecin n’est nullement tenu de suivre des directives qui seraient contraires à la loi et/ou à ses obligations professionnelles.

La personne de confiance

L’information du droit de désigner une personne de confiance

Lors de son arrivée en hospitalisation, le patient est informé de la possibilité de désigner une personne de confiance. La désignation de la personne de confiance se fait obligatoirement par mandat écrit, le patient désigne la personne de confiance et signe le document.

Désignation et missions de la personne de confiance

La personne de confiance doit être une personne physique désignée librement par le patient et ce rôle doit être accepté par la personne choisie. Seul le patient placé sous tutelle ne dispose pas de ce droit. Lorsque le patient est lucide, la personne de confiance l’assiste, l’accompagne, s’il le souhaite, dans toutes ses démarches, entretiens médicaux, et l’aide dans ses décisions.

Si le patient ne peut plus exprimer sa volonté, la personne de confiance est consultée par le praticien, mais elle ne décide pas à la place du malade. La personne de confiance a un rôle consultatif et non décisionnel.

Consultation de la personne de confiance

La fonction de la personne de confiance cesse soit lorsque le patient est décédé, soit à la demande du patient.

La personne de confiance est l’une des grandes mesures de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des usagers de la santé. Les dispositions de la loi du 22 avril 2005 font de la personne de confiance un interlocuteur privilégié. En effet, l’avis de la personne de confiance prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées dans les décisions d’investigation, d’intervention, ou de traitement prises par le médecin (Cf. article 8 de la loi du 4 mars 2002).

Gestion des situations des personnes inconscientes

Les divers faits sociaux évoqués lors des discussions tant par les professionnels de santé que les patients et familles attestent de la difficulté de concilier la mission de soins et la volonté du patient, d’autant plus quand les souhaits de la famille ne sont pas forcément ceux du patient.

Règles et procédure applicable pour une prise de décision

Selon que le malade en fin de vie est, ou non, conscient, les règles et notamment la procédure applicable seront différentes :

Si le malade est conscient, le médecin l’informe des conséquences de son choix et respecte sa volonté. Il est alors fait mention dans le dossier de la décision du patient et des discussions échangées avec le patient c’est le principe de la traçabilité.

Si le malade est inconscient, les rapports du médecin et du malade sont encadrés par la procédure collégiale et le principe de collégialité. Ainsi conformément aux dispositions de la loi la conduite du professionnel de santé confronté à une situation de fin de vie d’un patient inconscient doit être orientée par les principes suivants :

  • Préalablement à toute prise de décision sur l’orientation des soins, le médecin doit consulter l’équipe médicale : respect de la procédure collégiale définie par le code de déontologie.
  • La notion de collégialité ne se limite pas seulement à une décision prise en équipe mais à une participation du patient via les directives anticipées rédigées préalablement par le patient et/ou par la consultation de la personne de confiance.

La collégialité s’impose et permet à chacun de se positionner dans la prise de décision. De plus, dans un souci de transparence, la décision doit être inscrite dans le dossier médical du patient.

4. Préservation de la dignité des patients et l’obligation de leur dispenser des soins palliatifs : lorsque des traitements considérés comme de l’obstination déraisonnable sont arrêtés ou limités, la loi fait obligation au médecin de soulager la douleur, de respecter la dignité du patient et d’accompagner ses proches.

5. La protection des différents acteurs est assurée par la traçabilité des procédures suivies.

Ces quelques points peuvent aider chacun à mieux comprendre et aborder la fin de vie.

Pour continuer la contemplation, d’autres articles sur le blog

L’accompagnement en huit questions

En huit questions, anila Trinlé donne le sens de l’écoute dans le cadre de l’accompagnement. Une mosaïque de conseils pour clarifier le processus de présence à l’autre (et à soi même). 

Qui sont les personnes en souffrance ? et, plus largement, qui est cet autre que j’écoute ?

  • Des personnes malades, pour certaines en fin de vie, l’entourage des malades, les soignants parfois, et des personnes en deuil, de façon plus générale des personnes qui rencontrent des difficultés à vivre les écueils de la vie.

Comment j’accueille cet « autre » ? dans quel état d’esprit, et avec quels présupposés ?

  • Accueillir l’autre dans ce qu’il est, lui offrant la générosité d’une écoute. Une générosité gratuite qui n’est pas entachée ni de pitié, ni de commisération, un état d’esprit qui tend à la compassion. Cette compassion, nourrie par une motivation vaste, consiste à souhaiter pour l’autre qu’il soit libéré de la souffrance et des causes de la souffrance.
  • Garder  à l’esprit que je ne sais pas à la place de l’autre ce dont il a besoin. Être attentif à ce que je veux dans cette relation car plus « je veux » aider, et moins je suis aidant. Cependant il est essentiel d’être conscient que je veux toujours quelque chose, au moins qu’il aille mieux…
  • Faire confiance aux ressources de la personne et faire appel à ses capacités. J’accepte le temps, le rythme de l’autre, à défaut j’accepte mon incapacité à croire en son potentiel. Je mobilise l’énergie en vue de permettre à la personne de garder ou de restaurer l’estime de soi, en développant une vision globale, conscient des processus et de l’évolution toujours possible. Même si ses réponses sont éloignées des solutions que j’envisageais…

Comment j’accueille la parole de l’autre ? Comment nos deux paroles vont à la rencontre l’une de l’autre ?

  • Préliminaire : l’écoutant ne doit pas oublier qu’il a lui aussi une parole et qu’il en fait usage !
  • Avec une attention extrême, je laisse venir la parole de l’autre, son univers, son vécu. J’accueille les mots, les silences, attentif à ce que je vis dans l’espace de cette rencontre.
  • L’important n’est pas de comprendre, ni de savoir, il s’agit plutôt de connaitre, de rencontrer l’autre dans ce qu’il est, dans ce qu’il vit.

Qu’est-ce que je fais des émotions qui me traversent ?

  • Les voir, les identifier, les accepter et ne pas les suivre. Ce qui demande un entrainement, une rencontre intime avec ses propres mouvements émotionnels, notamment par la méditation.
  • Développer la conscience de leur présence, leur impact sur mon écoute, ne pas se laisser berner par leurs discours.
  • Sa souffrance me touche, m’interpelle, me dérange et je reste là, à son écoute, c’est de sa souffrance dont il s’agit, de son vécu douloureux. J’accueille mon sentiment d’impuissance, l’aide que je peux apporter ne se situe pas dans l’action, mais dans l’écoute inscrite dans une présence bienveillante et non jugeante.

Que signifie avoir du recul, être à la bonne distance ?

  • Être non pas « détaché », mais « non-attaché », c’est ce qui me permet d’entrer en relation et d’entendre la parole de l’autre. Être libre, autant que faire se peut, des attentes liées à l’attachement. L’attachement à la personne, à son discours, à mes réponses qui s’élèvent si rapidement pour contrer le sentiment de malaise qui me traverse face à la souffrance.
  • La « bonne distance » est tout sauf un état figé, c’est un continuel réajustement entre trop de proximité et trop de distance, entre fusion et séparation. C’est sortir de la confusion entre ce qui appartient à l’autre, et ce qui m’appartient en propre, sa souffrance et mon mal-être, ses difficultés et mon sentiment d’impuissance…
Accueillir l'autre dans ce qu'il est

Accueillir l’autre dans ce qu’il est

Qu’est-ce qui fait que l’autre va, ou non, trouver ses propres réponses ?

  • Développer la conscience que la capacité de « rebondir » est présente en chacun, mais parfois tellement entravée par des expériences de vie douloureuses qu’elle semble inaccessible.
  • Être là, « ne rien dire », juste écouter, permettre de déposer ces paroles difficiles et faire confiance au silence fécond.
  • Chercher ensemble les ressources sur lesquelles il est possible de s’appuyer, c’est s’autoriser à se reconnecter à ce qui aide, soutient et éclaire le chemin.
  • Mais ne pas s’y tromper non plus, ce n’est pas accessible à tous, et surtout cela dépend des moments. Il est d’abord nécessaire, voire indispensable, d’être suffisamment apaisé pour intégrer le drame vécu.
  • Toujours se rappeler qu’il faut du temps et que toute personne qui subit une difficulté connaitra différentes étapes : déni, colère, sentiment dépressif…
  • Le temps est un allié, mais ce n’est pas suffisant, le temps seul ne transforme pas, ne permet pas d’évoluer dans son registre émotionnel, la parole est nécessaire et donc une écoute bienveillante est indispensable.

Quelles sont les attentes de celui que j’écoute ?

  • Une aide ponctuelle, précise, une demande impliquant une connaissance des relais possibles, mais non dénuée d’une plainte associée à sa situation problématique et difficile à vivre.
  • Une écoute, le besoin être entendu dans ses souffrances qui semblent exclure du monde « ordinaire ». Une souffrance difficile à vivre, voire intolérable, entretient un sentiment de solitude, d’isolement, lié à l’impression de ne pouvoir être compris dans sa singularité.

Quelles réponses, quelles attitudes adopter ?

  • Aider la personne à élaborer sa parole pour lui permettre de clarifier son vécu, un trop plein de souffrances entrainant une confusion émotionnelle.
  • S’appuyer sur « ma boite à outils » d’écoutant : la reformulation, la prise en compte du non-verbal, la conscience de ce que je vis dans la présence à l’autre mais sans le suivre.
  • Proposer, vérifier, questionner. Ne pas donner de conseils, être attentif aux interprétations rapides.
  • Les réponses, seule la personne les connait, tout au plus je peux la mettre en chemin pour y accéder.
  • Toutes les propositions, même si elles sont justifiées, seront inopérantes si elle ne se les approprie pas par elle-même.
  • Ne pas aller au-delà ce qui est attendu et ne pas limiter la parole. Tenir compte des mécanisme de défense, respecter le déni.
  • Faire preuve de discernement, d’une curiosité saine, d’une faculté d’étonnement, se laisser surprendre. Lâcher l’attendu et les a priori.
  • Rester attentif à ne pas avoir de projet pour l’autre, à ne pas rechercher de résultat. Juste être là.
  • Tout cela en développant douceur et bienveillance envers soi…
  • Ne jamais oublier que je suis en entrainement. Je m’entraine à développer une présence ouverte et consciente d’elle-même, afin de m’ouvrir à l’autre.
  • Mettre en oeuvre les moyens d’offrir une présence consciente, intuitive et éclairante, avec pour perspective de redonner confiance en l’autre et de restaurer l’estime de soi.

Anila Trinlé

Trois raisons qui rendent tout deuil unique.

Du point de vue de l’enseignement du Bouddha, la souffrance du deuil est le fruit de notre fonctionnement. En effet, nous nous attachons à des êtres, des relations, des objets, des situations sans considérer leur impermanence.

Nous savons bien que nous pouvons être séparés de ceux que nous aimons, nous savons bien qu’un jour nous mourrons, que nous pouvons perdre notre travail, égarer ou casser des objets auxquels nous tenons, etc.

Nous avons besoin d’être entouré de ceux que nous aimons, dans un cadre de vie qui nous convienne, dans un lieu où nous nous sentons en sécurité. Tout cela nous est nécessaire et il n’y a pas de problème à cela, si ce n’est que nous ne prenons pas en compte l’impermanence qui est notre caractéristique même, qui est inhérente à tous les phénomènes composés. C’est une réflexion à laquelle nous sommes invités afin d’être moins fragilisé par la perte.

Le processus de deuil 

Le processus du deuil se vit par étapes, nous passons de l’incrédulité à la colère, de la culpabilité à la tristesse, de phases dépressives en phases d’acceptation, tout cela dans un vécu émotionnel déstabilisant. Ces phases s’interpénètrent, se vivent souvent de façon chaotique et non linéaire.

Si le processus du deuil est universel, son vécu est à chaque fois singulier, parce qu’il est conditionné par une constellation de paramètres qui vont lui donner son caractère unique et singulier.

Pour faciliter la compréhension, j’aborderai ces différentes conditions en prenant l’exemple d’un deuil suite au décès d’un proche. Cependant, les différents deuils en lien avec une rupture amoureuse ou amicale, la perte d’un emploi, la fin d’un projet, etc., sont de la même façon conditionnés par les circonstances.

Explorons ces paramètres. Ils sont de trois types, les circonstances de la mort, les conditions liées à  la personne décédée et la personne endeuillée.

Les circonstances de la mort

Si la mort était plus ou moins attendue, à cause d’une pathologie évolutive ou du grand âge, les proches auront eu le temps de se préparer à la séparation. Tandis que si la mort survient brusquement, accident de la circulation, arrêt cardiaque, ou hémorragie cérébrale, la séparation brutale devient plus complexe à vivre. Sans parler bien sûr des suicides où le sentiment de  culpabilité est bien souvent omniprésent chez les proches.

D’autres circonstances peuvent également colorer le vécu du deuil, s’il y a eu réanimation ou non, si les douleurs physiques n’ont pu être complètement apaisées, si des troubles respiratoires importants ont précédé la mort, etc. Les souffrances peuvent être multiples et laisser les proches dans un sentiment d’impuissance important.

La qualité de l’accompagnement, du moins le sentiment que tout a été fait au mieux, conditionne également la souffrance de la perte, de même que le respect des choix du patient. Pour certains, la présence ou non au moment de la mort aura un impact fort, tant positif que négatif.

Les différents paramètres en lien avec la personne décédée

L’âge du défunt, la nature du lien que ce soit un conjoint, un parent, un enfant, un proche ou un ami, seront déterminants, mais également la nature des échanges en fin de vie, la qualité de la relation qu’elle ait été harmonieuse, conflictuelle ou ambivalente. Il est à noter que des conflits non réglés, générateurs de remords ou de culpabilité, auront un poids important au cours du deuil.

Par ailleurs, le vécu de la maladie ou du grand âge donnent une teinte singulière au deuil. S’il y a eu acceptation ou refus, si les proches ont le sentiment que la personne ne s’est pas suffisamment « battue » ou qu’elle a refusé certains soins, s’il y a eu des opinions différentes dans la famille sur les choix thérapeutiques, tous ces aspects marquent le deuil de façon évidente.

Les conditions appartenant à l’endeuillé

Les expériences passées de deuils plus ou moins difficiles ou un deuil en cours limitent bien souvent les capacités psychiques pour affronter à une souffrance nouvelle. Le sentiment de ne pouvoir faire face peut envahir la personne en deuil et limiter sa capacité à s’adapter à la perte, du moins dans un premier temps. De même, un état de santé fragile ou une personnalité en fragilité psychologique rendra le temps du deuil plus complexe.

D’autres éléments sont également déterminants, ce sont les pertes associées au décès de la personne proche, comme la nécessité de faire face au quotidien, la perte ou le maintien du foyer familial, du niveau social, des moyens financiers.

Nous pouvons voir ainsi qu’en énumérant quelques uns des paramètres qui conditionnent un deuil, que chaque vécu ne peut être que singulier, que chaque membre d’une même famille affectée par le décès d’un proche aura un parcours différent. Ces différences sont parfois source d’incompréhension, on peut avoir l’impression qu’untel semble ne pas souffrir, qu’un autre semble en faire trop, etc. Cela peut être en plus source de conflit qui peut être éviter en comprenant la situation unique de chacun.

Anila Trinlé

deuil

L’éthique de l’accompagnement

L’éthique
Parler de l’éthique semble souvent affaire de spécialistes. Ce n’est pas faux, mais c’est tout de même un peu limité. La réflexion éthique nous concerne tous, elle concerne chacun d’entre nous, parce qu’elle conditionne notre manière d’être au monde.
Ce sont nos repères éthiques qui nous permettent de nous positionner pour faire nos choix dans nos relations, dans notre travail, dans nos loisirs. Bien sûr il y a la législation, les lois, bien sûr il y a un code de conduite favorable pour entretenir des relations saines, mais ce sont mes propres choix éthiques qui vont conditionner mon comportement dans la vie de tous les jours, comme dans des situations plus délicates que sont, par exemple, les situations de fin de vie.
Notre éducation, notre culture, notre tradition religieuse, notre spiritualité, nous apportent un cadre, des points de repère importants qui étayent des valeurs que nous validons. Cependant, il est important de souligner que, quel que soit le cadre choisi, c’est mon rapport à ce cadre qui donnera ou non sa pertinence à mes actions.
En effet, nos émotions, nos attachements ou nos rejets, nous amènent souvent à dévier de ce cadre. Ainsi, bien que j’ai l’intention de ne pas nuire aux autres, si une personne me dérange, m’importune, je peux tout à fait, sous le coup de l’impatience, de la colère, la rejeter sans grand ménagement, peut être même la blesser !
Du point de vue de l’enseignement du Bouddha, la mise en œuvre de l’éthique est affaire d’entrainement. Il s’agit de développer, petit à petit, un regard plus lucide sur nos actions, surtout sur ce qui les sous-tend. Quelle motivation, quelle intention, est à la base de mon attitude ? Quelles émotions, quelles attentes, viennent nourrir ou perturber l’intention première qui est de ne pas nuire ?

L’éthique de l’accompagnement
Quelle pourrait donc être l’éthique de l’accompagnant bouddhiste (ou non d’ailleurs) et sur quelles bases un pratiquant peut-il s’appuyer ?
Accompagner, vient d’un ancien mot « compain », qui signifie, partager le pain. Si on replace ce mot dans son contexte médiéval où la foi chrétienne était très présente, la symbolique du pain était associée à la vie. On parle du pain de la vie. Donc, accompagner, peut s’entendre sans ambiguité comme « partager un moment de vie ».
Accompagner signifie également cheminer avec, et cela induit de suivre le rythme de l’autre, d’accorder nos pas aux siens. C’est-à-dire, s’accorder à ses propres choix et respecter ses valeurs et priorités.
Accompagner, c’est aussi savoir écouter, c’est-à-dire d’entendre au-delà des mots mêmes, afin d’être plus ouvert à l’autre. Mais accompagner ne relève pas seulement d’un savoir-faire, c’est avant tout un savoir-être, et ce savoir-être se cultive.
Lorsque nous parlons d’être présent à une personne en souffrance, il s’agit en fait d’être conscient de ce que nous vivons à l’instant même de la présence, de développer la conscience de ce que vit l’autre, tout en étant présent à l’environnement, aussi bien structurel que relationnel de la personne accompagnée.
Ce regard intérieur se cultive dans la méditation, ce qui permet de développer une plus grande acuité sur nos fonctionnements.
Pour développer cette capacité à être réellement présent, il s’agit d’abord et avant tout d’être honnête avec nous-même, de développer la conscience de ce que nous ressentons. Que ce soit des pensées parasites, des émotions perturbatrices, des peurs, des doutes, nous sommes d’instant en instant traversés par de multiples états d’esprit qui nous éloignent de la conscience de l’instant présent. Ce qui n’est pas en soi un problème, c’est notre vécu ordinaire, l’essentiel est de nous en rendre compte, afin de ne pas nous laisser piéger par tous ces mouvements dans l’esprit.
Développer une conscience plus aiguë de notre fonctionnement permet de moins se laisser duper par nos interprétations premières. Il s’agit de prendre conscience que nous n’avons accès à notre propre réalité et à la réalité de l’autre qu’au travers de nos représentations.
Dit autrement, nous n’avons accès qu’à notre vision de la réalité, mais que nous prenons pour la réalité. À bien y regarder, nous savons que nous ne percevons pas tous la réalité de façon identique, pourtant, au cœur de la situation, nous sommes persuadés, de façon très instinctive, que c’est la réalité. En fait, notre vision est essentiellement subjective, même si l’objectivité participe à l’élaboration de notre vision.
Dans l’éthique bouddhiste, c’est un point essentiel que le pratiquant travaille au jour le jour.
Sur base d’une connaissance plus approfondie de notre fonctionnement, qui prend en compte nos propres limites, nous pouvons nous ouvrir à une réalité plus vaste. Ceci nous permet de ne pas figer la compréhension première que nous pouvons avoir du vécu et de la souffrance de l’autre, pour entendre ce qu’il souhaite nous dire.
C’est en développant un regard doux et généreux envers nos propres erreurs, nos propres dysfonctionnements, nos limites, que se développe la capacité à mettre en œuvre la bienveillance.

Trinlé

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