L’estime de soi : piège ou ressource ?

Cet article, un entretien de lama Puntso avec Aurélie Godefroy, est la transcription de l’émission « Sagesses Bouddhistes » sur France 2 en avril dernier. Le thème porte sur l’estime de soi sur le chemin spirituel. Puntso fera une conférence sur le même sujet à Bordeaux le 13 novembre prochain

S.B. : J’aimerais que l’on commence par définir précisément ce que l’on entend par « ego » car, souvent, on mélange l’ego du point de vue psychologique et l’ego du point de vue bouddhiste. Vous, en tant que bouddhiste, comment définissez-vous l’ego ?

L.P. : Tout d’abord, je confirme que ce terme d’ « ego » a généré beaucoup de confusion d’autant plus que, par ailleurs, il y avait, dans l’approche bouddhiste, l’ego et le non-ego, ce qui, sur le versant de la psychologie et de la psychanalyse, a vraiment posé question.
Pour répondre simplement, on pourrait dire que l’ego, dans la perspective psychologique, est toujours une structure évolutive, mentale, mais, au bout du compte, on a toujours affaire à une entité. Alors que, dans le bouddhisme, en termes d’ego, on parle plutôt d’activité c.à.d une activité continue de l’esprit qui nous conduit à avoir un sentiment, une sensation d’être quelque chose de défini, de solide. Une continuité qui me donne le sens de familiarité, de connu, qui me permet de dire : « je suis continuellement «moi ».
Alors que, en y regardant de plus près, il n’y a pas là une entité, quelque chose de solide, mais une activité sans cesse renouvelée.
Il y a donc une réelle différence entre les deux approches et on verra peut-être après que cela permet la complémentarité. Quand on parle de l’ego dans le bouddhisme, on parle d’une activité sans cesse renouvelée et non d’une entité ou d’une substance en tant que telle. Nous sommes plus « process » que matière.

S.B. : Quand on parle de soi et d’ego, est-ce que cela revient à dire la même chose ?

L.P. : Oui, il y a différents termes du point de vue bouddhiste. Quand on dit « le je, le soi, l’ego, le moi », on fait toujours référence à la même chose. C’est cette saisie, cette identification d’un ensemble d’éléments que l’on cristallise.

S.B. : Alors, a contrario, qu’est-ce que l’on entend par le non-soi ?

L.P. : Pour bien comprendre le non-soi, permettez-moi de développer un peu plus comment fonctionne le soi. Comme on l’a dit, c’est une activité d’identification continue. Une identification à quoi ? D’abord, au corps qui est la base de nos expériences. Ensuite, dans ce lieu, sur la base de mon corps, je vais avoir différentes sensations visuelles, auditives et autres qui vont me donner des données sur la base desquelles je vais pouvoir faire de l’information parce que je vais identifier ce qui se passe. Dès que j’ai identifié ce qui se passe, les différents états d’esprit vont subjectiviser mon expérience, différentes émotions ou autres, et la conscience va me dire : « ça », c’est réellement existant.
Donc au lieu de dire ego, on devrait parler d’un mode de connaissance basé, centré, égocentré sur cette identification. Quand on parle de non-ego ou de non-soi, il ne s’agit pas de détruire quelque chose, mais de changer de mode de connaissance, de passer d’un mode de connaissance égocentré à un mode connaissance qui n’est plus cristallisant.

S.B. : Qu’est-ce que l’on entend par « estime de soi » ? Là aussi, c’est un terme qui peut prêter à confusion.

L.P. : Parmi les différentes incompréhensions du bouddhisme en Occident, il y avait l’idée que, puisqu’il faut réaliser ce non-soi, le soi ou l’ego devient l’ennemi. Or les enseignements du Bouddha ne disent pas cela. Ils nous invitent à prendre le soi comme base pour petit à petit dépasser ce soi et changer de mode connaissance. Pour ce faire, il faut les qualités, et l’idée est que l’estime de soi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, va être une ressource nécessaire pour changer ce mode de connaissance. A la fois une bienveillance envers soi-même, en même temps une vision de soi-même et également une confiance en soi. Cet ensemble va nous permettre de trouver les ressources qui vont nous permettre de parcourir ce chemin de changement de connaissance.

S.B. : Comment cette estime de soi se construit-elle pour nous ?

L.P. : L’estime de soi commence par le fait de se sentir valable c.à.d est-ce que j’ai cette bienveillance envers moi-même ? Quelque chose d’une certaine façon d’inconditionnel. D’un côté, j’évalue ce que je suis, mais, au-delà de l’évaluation, de la conscience de ce que je suis, il y a cette stabilité intérieure qui me dit « je suis respectable », « je suis valable, je suis au monde et je peux être au monde ».
Ensuite, il y a un deuxième aspect – tout cela étant des facettes différentes d’un même sentiment – qui est la conscience de soi, conscience de mes qualités, de mes défauts, je sais où j’en suis. Mais la vision de soi va un peu plus loin c.à.d elle part du principe que je peux faire face à ce que je suis, à la difficulté que je rencontre, à l’adversité.
Le troisième aspect est la confiance en soi et cela a à voir avec mes capacités, mes compétences : suis-je capable de faire des choses ?
Le premier : je suis valable
Le deuxième : je suis adaptable
Le troisième : je suis capable

L'estime de soi est nécessaire sur le chemin spirituel

L’estime de soi est nécessaire sur le chemin spirituel

Ainsi, quand on voit les maîtres du passé comme Milarépa ou Gampopa, on va voir que Milarépa, après avoir détruit son village et tué des êtres, des personnes de son entourage, si l’on regarde sa réaction, a décidé de se transformer, de sortir de ça. Il a eu cette bienveillance et il s’est senti capable de le faire. Il va à la recherche de son maître Marpa et il a conscience de ses capacités et de ses défauts. L’estime de soi est nécessaire pour pouvoir parcourir le chemin.

S.B. : Mais, pour revenir à la construction de cette estime de soi, que peut être le rôle des parents dans l’éducation des enfants, puisque finalement tout se construit dès le plus jeune âge ?

L.P. : Essentiel. Alors, évidemment, dans le bouddhisme, on n’arrive pas avec des valises vides ; chacun a son karma. Mais, au-delà du karma, il y a les circonstances que l’on rencontre. Et là, dans la construction d’un individu, le rôle des parents et des éducateurs en général est essentiel. Pour que quelqu’un puisse se sentir respectable et avoir cette bienveillance envers lui-même, il doit en être nourri dès le départ. Les parents ont quelque chose à montrer un exemple, pas seulement quelque chose à dire. De même, pour la confiance en soi, elle est fondée sur les compétences et ces compétences, on ne les sort pas de nulle part, elles nous sont apprises par l’école, par les gens qui nous entourent. On a ce potentiel d’estime de soi, mais, en même temps, il est construit, il est nourri par les personnes qui nous accompagnent depuis la naissance jusqu’à notre autonomie.

S.B. : En quoi cette estime soi peut-elle nous permettre d’aller au-delà de nos fonctionnements égocentrés ?

L.P. : En réalité, le chemin spirituel n’est pas un chemin facile. Au-delà de ce que l’on peut entendre sur un bouddhisme facile à vivre, de détente et d’ouverture, il y a un réel travail sur soi-même. Ce travail sur soi-même demande des ressources. Tout à l’heure, on a dit qu’il s’agissait de s’appuyer sur cette notion de soi pour dépasser ce soi. On va donc partir d’une connaissance égocentrée pour aller vers un mode connaissance plus ouvert, moins conditionné. A ce moment-là, il va falloir développer des états d’esprit qui vont nous permettre petit à petit cette transformation. On ne passe pas d’une attitude égocentrée à cette grande nature de l’éveil parce qu’on le décide.
Ces qualités à développer vont donc être des qualités intérieures, des états d’esprit comme le respect de soi, le respect de son éthique, la considération envers les autres c.à.d la façon d’entrer en relation avec les autres de façon inspirante, la dimension de compassion … De développer toutes ces qualités demande cette confiance et cette estime de soi qui vont nous permettre d’aller petit à petit au-delà de ce que je vis maintenant, ou plutôt au cœur de ce que je vis maintenant, pour trouver ce mode de connaissance qui n’est plus égocentré.

S.B. : Concrètement, que pouvez-vous nous conseiller pour y arriver dans notre pratique ?

L.P. : L’essentiel, si l’on ramène l’enseignement du Bouddha à l’essentiel, cela reste cette dimension de connaissance de soi, d’attention, de vigilance, de présence. Un entraînement à la présence à soi et aux autres semble être le socle.
Par cette conscience, je vais pouvoir développer des qualités et abandonner ce qui cause la confusion, ce qui cause la souffrance.
Le développement de cette qualité de vigilance accompagnée de la bienveillance, de l’ouverture aux autres, de la compassion, demande aussi une certaine clarté intérieure et une stabilité intérieure. Ainsi, petit à petit, cela va donner la place à d’autres qualités.
Une notion un peu plus délicate à manipuler, c’est la notion de mérite parce qu’elle est vraiment liée à l’enseignement du Bouddha. C’est cette nécessité de rassembler, dans le courant de son être, les actes bénéfiques, vertueux, des actes qui vont comme fertiliser l’esprit. En effet, c’est de là que va naître une compréhension, une clarté, et ainsi, petit à petit, soutenu par cette estime de soi, je vais passer d’un fonctionnement égocentré à un autre fonctionnement, où effectivement l’estime de soi n’aura plus de sens parce que le soi n’y sera plus.

S.B. : Pour conclure, ces deux notions ne sont définitivement pas contradictoires en soi. Elles marchent ensemble ?

L.P. : L’estime de soi est nécessaire quand on est pris dans le soi. C’est par l’estime de soi que l’on va pouvoir aller petit à petit vers ce mode de connaissance non conditionné.

Dépasser les défis

Une vision bouddhiste du monde et de la crise : il y a deux ans, le Gyalwa Karmapa a publié un article dans le Huffington Post sous le titre de « Apprendre de Lehman ». « il est crucial d’être conscient de tout ce qui se passe dans le monde et d’y être relié. » dit-il. Il montre, sans le dire, comment les valeurs d’une voie comme le bouddhisme peuvent s’inscrire dans une société laïque.

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Le samedi 15 septembre marque les quatre ans de la chute des frères Lehman, le début de la crise économique. Même si nous avons vu et éprouvé la douleur et la peine causées par le système économique à tant de monde sur la planète, nous ne pouvons pas non plus oublier que, dans le passé, ce système a été prévu pour être quelque chose de bon et de bénéfique à chacun. Nous devons nous souvenir qu’il faut savoir associer les qualités de compassion et de sagesse à tout ce que nous faisons, en matière d’économie tout comme dans nos vies quotidiennes.

Depuis que j’ai commencé à voyager, il y a près de quatorze ans, j’ai visité de nombreux pays très différents. Si ces voyages m’ont beaucoup appris, la tournée européenne de cette année, « La Richesse de l’Europe », a été particulièrement instructive. J’ai rencontré de nombreux jeunes, y compris les jeunes ambassadeurs du Prince’s Trust, et je les ai écoutés parler de ce qu’ils traversent, de ce qu’ils éprouvent au sujet de la vie, de la situation économique actuelle et aussi de leur façon d’imaginer le futur.

Il y a toujours une façon de dépasser les défis.

Il y a toujours une façon de dépasser les défis.

Nous sommes tous reliés

J’ai également compris grâce à ces échanges qu’aussi longtemps que nous prenons naissance en tant qu’êtres humains et que nous vivons dans ce monde, peu importe la vie que nous menons, nous sommes tous reliés avec tous les individus et toutes les sociétés de cette planète et nous ne pouvons pas fuir les responsabilités ni les circonstances mondaines.

Même pour moi, enseignant bouddhiste qui essaie de suivre le chemin du Bouddha Shakyamuni, il est crucial d’être conscient de tout ce qui se passe dans le monde et d’y être relié.

C’est avec cet état d’esprit que j’ai mis en place l’initiative de « La Richesse de l’Europe ». Plus de 700 jeunes européens ont partagé leurs inquiétudes, leurs aspirations et leurs priorités dans un sondage au cours des dix dernières semaines. Les résultats du sondage ont clairement montré que la grande majorité des jeunes classe les valeurs non matérielles plus haut que la richesse matérielle. Grâce à ce que j’ai appris des enseignements du Bouddha, je m’attendais déjà à ces résultats. Néanmoins, ils sont pour moi très encourageants, très inspirants et me donnent beaucoup d’espoir.

Les qualités demeurent en nous-mêmes

Aussi déroutantes que les choses puissent parfois paraître lorsque nous considérons l’état du monde, il y a toujours de l’espoir et une façon de dépasser ces défis. En particulier lorsque nous voyons le potentiel des jeunes, tout ce dont nous avons besoin est de partager et de communiquer. Lorsque nous échangeons nos points de vue et nos réflexions, les qualités que nous avons tous émergent naturellement. Sans communication, nous pouvons entretenir toutes sortes d’idées et de moyens positifs, mais ils restent en sommeil. Cependant, dès que nous commençons à communiquer, même la plus infime des ressources devient vraiment vitale et efficace.

Inutile de nous mettre sous pression pour changer ou réformer le monde : en étant conscients et en ayant une communication claire et constante, nous pouvons en avoir une vue et une perspective holistiques. Prenons le simple exemple de l’initiative de « La Richesse de l’Europe » : quelques pensées et idées ont été partagées, elles ont apporté davantage de conscience de la richesse de l’Europe à travers le regard des jeunes.

Forts de cette pensée, nous savons naturellement que nous devons nous concentrer sur notre richesse intérieure — que nos qualités intérieures sont les facteurs les plus importants pour vivre une vie porteuse de sens. Grâce à ces qualités, nous acquerrons également une sagesse pour savoir comment entrer en relation avec les valeurs matérielles, dans quelle mesure nous devons utiliser la richesse matérielle et comment le faire avec responsabilité.

J’espère qu’une plus ample communication nous permettra à tous d’amener cette conscience dans le monde entier, afin que chacun puisse apprendre et à appliquer les leçons du passé.

Karmapa Thayé Dorje

La présence, un savoir-être à cultiver

Voici quelques extraits d’un livre qui vient de paraître : « La présence, un savoir-être à cultiver » d’anila Trinlé aux éditions Rabsel.

La présence est un processus vivant qui nous révèle à nous-même et, de ce fait, nous permet d’entrer en relation de façon nouvelle avec les autres. Ce savoir-être se décline ainsi au quotidien, dans nos relations, affectives, relationnelles ou professionnelles.

Ce livre apporte un éclairage nouveau sur la présence. Il est le fruit de la rencontre du bouddhisme et de l’accompagnement des personnes en souffrances. Développer une plus grande conscience de notre réalité, clarifier nos motivations, accroitre notre bienveillance et notre discernement, autant de clés pour déployer une présence fertile pour soi et pour les autres.

Ce n’est pas un livre de recettes ou une méthode de plus pour être efficace au quotidien. Il nous donne des clés, des ouvertures, des pistes, afin que la rencontre avec l’autre (et, du coup, avec soi même) soit fertile. Ce texte n’a pas été écrit pour donner des réponses, mais bien pour nourrir notre réflexion. 

Les extraits :

Introduction

La présence peut se définir comme une manière de connaître ce que nous vivons. Cela suppose une qualité d’attention et une ouverture à ce qui se passe, tant en nous qu’à l’extérieur de nous-mêmes. La présence se cultive, s’affine, elle est à découvrir, à nourrir. Être présent de façon authentique suppose donc un entrainement. Il ne s’agit pas d’un état figé. Différents paramètres entrent en jeu, chacun demandant à être travaillé. La présence est un processus vivant qui nous révèle à nous-mêmes et, de ce fait, nous permet d’entrer en relation de façon nouvelle avec les autres. Pour développer cette présence, il s’agit cependant moins de questionner la situation que « moi » dans la situation.

L’impermanence

Bien que nous sachions notre finitude, nous nous vivons, au moment même de l’expérience, comme étant permanent. Nous avons le sentiment d’être durable, « moi » semble exister de façon forte comme étant une entité permanente.

Pourtant, nous savons bien que tout ce qui a un début a une fin, que tout ce qui commence se termine un jour, que tout ce qui nait meurt. Nous le savons intellectuellement, mais notre expérience ne prend pas en compte cette donnée incontournable de notre réalité.

Ainsi, nous recherchons et construisons notre bonheur en nous appropriant ce que nous aimons, tout ce qui nous plait, nous intéresse, nous rassure, sans considérer leur impermanence. À bien y regarder, nous construisons notre bonheur sur du sable pensant l’ancrer dans une terre solide et fertile.

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L’accompagnement d’une personne malade et/ou en fin de vie

Le mot « accompagner » vient d’un ancien mot « compain », qui signifie, partager le pain. Si on replace ce mot dans son contexte médiéval où la foi chrétienne était très présente, la symbolique du pain était associée à la vie. On parle du pain de la vie. Donc, accompagner, peut s’entendre sans ambiguité comme « partager un moment de vie ».

Mais accompagner ne relève pas seulement d’un savoir-faire, c’est avant tout un savoir-être, et ce savoir-être se cultive. Lorsque nous parlons d’être présent à une personne en souffrance, il s’agit en fait d’être conscient de ce que nous vivons à l’instant même de la présence, de développer la conscience de ce que vit l’autre, tout en étant présent à l’environnement, aussi bien structurel que relationnel de la personne accompagnée.

Être conscient de ce que nous vivons induit une réflexion sur notre motivation, s’appuyer sur nos ressources, développer celles qui sont faibles et acquérir celles qui nous font défaut. C’est également accepter de rencontrer nos peurs, nos émotions perturbatrices, nos attentes et déceptions afin d’aller vers plus de clarté.

Conclusion

Pourquoi travailler sur la présence, le prendre soin ? La proposition est d’amener les situations d’accompagnement au chemin spirituel en clarifiant notre motivation, afin de donner à notre existence un sens bénéfique pour nous-même et pour les autres. Le Bouddha parle d’accomplir les deux bienfaits, le notre et celui des êtres.

Anila Trinlé

La tolérance ne suffit plus

La rencontre interreligieuse nous semble être un des éléments fort de la cohésion sociale. Rarement dans l’histoire de l’humanité autant de religions et de courants de pensée ont été rassemblés en un même lieu, à une même époque. Néanmoins, aujourd’hui la tolérance n’est plus une garantie suffisante pour le vivre ensemble. La simple acceptation de l’autre, dans une coexistence mutuelle et respectueuse ne peut répondre à notre situation nouvelle. Aussi, nous faut-il aller au-delà de la rencontre interreligieuse pour aller vers le dialogue « interconvictionnel ». Une notion née il y a une vingtaine d’années qui invite à une pratique du dialogue prometteuse. C’est pour cela que Dhagpo Bordeaux, dans son développement, envisage la mise en oeuvre de telles rencontres.

L’intime conviction

La conviction s’oppose au préjugé. Elle permet de passer de l’ignorance à la connaissance, du jugement à la conscience personnelle. Elle se construit au fil de l’histoire de vie de chacun, elle est le fruit de réflexions et d’expériences individuelles, l’aboutissement (parfois provisoire) d’un examen critique renouvelé. Bien plus qu’une croyance, elle dépasse évidemment les opinions.

Nous pouvons expliquer, même démontrer nos convictions aux autres, car elles sont le fruit d’un processus intime. Elles peuvent justifier notre engagement pour une cause. Les convictions concernent autant la pratique d’une éthique personnelle que l’engagement social, autant une démarche politique que l’adhésion à une religion ou une spiritualité. Nos convictions s’enracinent en nous en profondeur, elles sont liées à l’élaboration de nos valeurs qui guident nos choix dans la plupart des circonstances de la vie (même si la vie nous montre combien il est parfois difficile de vivre nos convictions au quotidien).

Un véritable enjeu s’impose à nous lorsqu’il nous faut rencontrer, échanger, collaborer, bref, vivre avec des personnes de convictions différentes, voire opposées aux nôtres. C’est ici que l’exercice du dialogue devient incontournable, ”le dialogue interconvictionnel”.

Le dialogue est à chaque fois un défi

Le dialogue est à chaque fois un défi

L’interconviction

L’autre est l’espace privilégié pour forger et développer nos convictions. L’autre est irréductible à notre propre réalité ; pour le rencontrer, il nous faut nous ouvrir à son questionnement, à sa critique. Si le dialogue est authentique, l’autre est prêt à écouter les notres. « Le dialogue interconvictionnel est le milieu vital de la conviction, le lieu de sa vérification, sa sauvegarde. »

Néanmoins, un tel dialogue est à chaque fois un réel défi. Si nous sommes mûs par un désir honnête de rencontre, de découverte et de reconnaissance, nous sommes prêts alors à mettre en jeu nos convictions, à les exposer à la remise en question, explorant alors le terrain fertile de l’enrichissement mais aussi de la vulnérabilité. Le risque de la rigidité reste en embuscade : nous rabattre dans le déni ou la dévalorisation des convictions de l’autre, ou encore dans la minimisation des différences. Bref, rater le rendez-vous est toujours possible : les préjugés et les peurs peuvent nous emmener sur les rives du dogmatisme, sans qu’il ne dise même son nom.

La rencontre interconvictionnelle ne s’improvise donc pas. Elle demande un apprentissage, des règles, une culture du dialogue. A ce titre, Albert Camus, en 1950, donne un éclairage inspirant sur ce qu’est le dialogue : « Je n’essaierai pas de modifier rien de ce que je pense, ni rien de ce que vous pensez (pour autant que je puisse en juger) afin d’obtenir une conciliation qui nous serait agréable à tous. Au contraire, ce que j’ai envie de vous dire aujourd’hui, c’est que le monde a besoin de vrai dialogue, que le contraire du dialogue est aussi bien le mensonge que le silence, et qu’il n’y a donc de dialogue possible qu’entre des gens qui restent ce qu’ils sont et qui parlent vrai. » C’est sans doute à cette condition que la confrontation devient productive.

Quelles convictions ?

Il s’agit de sortir des limites de l’interreligieux et ouvrir la rencontre autant aux traditions religieuses qu’à d’autres formes d’engagement personnel non confessionnels comme l’athéisme ou l’humanisme. Il ne s’agit pas d’échanger pour le principe ou sur des principes uniquement, mais de questionner notre présence et nos engagements dans le monde. Le propos de l’interconvictionnalité est d’ouvrir un débat citoyen entre citoyens.  Son champ d’application est d’abord celui des associations de la société civile afin de participer à la cohésion sociale.

Quels effets peuvent avoir des paroles échangées, même si ce sont des paroles de vérité ? C’est Jigmé Rinpoché  dans son ouvrage d’entretiens « Le Moine et le Lama » qui donne un élément de réponse : « Chacun continue évidemment de suivre sa propre voie, mais le dialogue réussi devient puissant facteur de paix et d’harmonie qui étend ses effets bien au-delà du cercle des pratiquants directement concernés. »

Notre démarche consiste à sortir du principe de non contradiction : s’il y en a un qui a raison, les autres ont donc tort ! D’ailleurs, il ne s’agit pas ici d’avoir tort ou raison, mais d’éprouver le vivre ensemble dans la multiplicité de nos convictions au coeur de la laïcité. C’est une affaire d’estime mutuelle.

Puntso

Sources :
L’interconviction de Bernard Quelquejeu.
Le Moine et le Lama de Dom Robert Legall et Lama Jigmé Rinpoché, Editions Fayard
La citation d’Albert Camus est issue de Actuelles Ecrits Politiques, Gallimard Paris 1950 et citée dans la présentation du G3i

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