L’avènement de la mort génère du chaos. La mort de l’autre nous sidère, elle entrave la pensée, elle empêche la logique du quotidien. La mort et son cortège d’inquiétudes, de peurs, de négociations, et de larmes. La mort est une injure au vivant ! Elle nous prend à chaque fois par surprise, même quand elle est attendue. On l’aime pas. Elle pue. Elle refroidit. Elle fait du vide qui nous remplit. Elle produit du manque, du silence inconfortable, des formules toutes faites. Elle n’épargne personne et puis plus rien. Et revoilà l’absence. On a beau résister, faire comme si et regarder ailleurs. On proclamera même, rebelle : « la mort n’existe pas ! » Elle est persistante : ce qui commence ne peut durer indéfiniment ; ce qui, ici, se rassemble, là se sépare ; ce qui a été construit se détruit, souvent petit à petit ; ce qui nait, disparait. Tôt ou tard.
Oui mais. La mort n’est pas une sentence, elle est un fruit. Elle est l’expression manifeste du changement, l’instant où la transformation devient visible, incontournable. La mort est le symptôme criant de l’impermanence qui, elle, est insidieuse. Elle avance masquée à nos yeux, imperceptible, invisible même. Pourquoi meurt-on ? Parce que l’on nait. Et une fois né, nous n’avons de cesse de changer. C’est dans le moment que cela se passe. Ça bouge tout le temps, ça se modifie, ça s’altère, ça se remanie. Il n’y a pas de même. D’instant en instant chaque infime partie de moi se transforme. Trouvez donc une cellule, un pore, un poil qui soit stable. Rien du tout. Ça file, ça défile.
Laissons la mort et parlons du changement, rencontrons les métamorphoses. Attention, c’est mathématique : pour qu’une chose change il faut que ses parties se transforment. Pour qu’elles se transforment, il faut qu’elles s’influencent l’une l’autre. (Ceci est vrai pour les parties des parties). La formule est simple, une triade inséparable : changement/composé/interdépendance. Attention, cela devient philosophique : il n’y a donc pas « d’être » aux choses, elles ne sont qu’une dynamique. Nous ne sommes pas matière, nous sommes proces. Le mouvement est constant. Les parties dont nous sommes composées sont dépendantes les unes des autres et se transforment, encore et encore. Depuis le début de la lecture de ce texte, vous êtes déjà autre, ce qui vous compose a changé. Attention, cela devient flippant : la vie nous dit : « impermanence » et nous répondons, trop fier : « un, permanence ».
Ce n’est pas l’impermanence qui fait problème, les choses changent de toutes façons. C’est notre déni de l’impermanence qui nous accable. C’est ce déni qui rend la mort insupportable car nous refusons ce qui nous y mène. Les choses changent et nous les percevons comme pérennes, elles sont composées et nous les saisissons comme entités, elles sont dépendantes et nous les concevons comme autonomes : « Je suis une entité indépendante qui dure » Comment voulez-vous alors que la mort ne nous prenne pas par surprise ?
L’impermanence est notre meilleure alliée. A jouer à cache cache avec elle, on sort toujours perdant. Et pour longtemps. Apprivoiser l’impermanence c’est se lier d’amitié avec le réel, c’est frayer avec le vrai, c’est prendre soin. Revisitons l’impermanence, explorons-là, laissons-là nous surprendre, déshabillons-là. Et quand l’impermanence nous devient familière, l’illusion s’estompe, le faux-semblant s’efface. La mort, alors, n’a qu’à bien se tenir.
(A Shamarpa)
Puntso
Lamothe
/ 13 juin 2014Merci
anne-marie Harvey
/ 13 juin 2014La pensée du néant des choses engendre la compassion, La compassion abolit l’espace entre soi et les autres, L’unité de soi et des autres réalise le bien d’autrui . (Milarepa)
Dhagpo Bordeaux
/ 13 juin 2014C’est étonnant, Anne-Marie, je voudrais étayer mon texte de quelques citations (notamment de Milarépa). Puis, j’ai abandonné l’idée. Et bien voilà qui est fait. De plus, la citation que tu as choisi montre comment la méditation sur l’impermanence mène à la compassion et à l’équanimité.
Merci
Kristof Hancke
/ 13 juin 2014« Même les êtres exceptionnels meurent… » Karmapa. « We should reflect it to remind ourselves of impermanence and put our time and efforts towards the practice of Dharma » Shangpa Rinpoché.
Merci Puntso d’être là demain à Dhagpo
Kristof
Di'Piazza
/ 13 juin 2014Merci Lama Puntso pour ce texte.
Annick Etcheberry
/ 13 juin 2014Merci beaucoup Lama Puntso pour ces paroles !
Adamante Donsimoni
/ 15 juin 2014Gérer l’impermanence, devenir nuage et se laisser transformer au gré des vents… toute une vie et beaucoup d’abandon. Il est si facile de tenir.
Merci beaucoup pour le partage de ce texte.
Pascal Faurie
/ 17 juin 2014La mort, c’est l’impermanence sous les projecteurs aveuglants. Lions nous d’amitié avec elles, et la lumière sera douce et constante jusqu’à la fin de la flamme de notre vie.
Jean Michel Bracco
/ 25 juin 2014Ce texte à beaucoup de valeur pour moi, merci pour ce cadeaux, pouvez-vous me dire la définition de proces dans votre citation : Nous ne sommes pas matière, nous sommes proces. Merci encore.
Jean Michel
Dhagpo Bordeaux
/ 30 juin 2014En fait, j’aurais du écrire « process ». Cela signifie que nous ne sommes pas des entités fixes et stables. Notre corps qui est matière évolue sans cesse et notre esprit également. Comment notre esprit est-il impermanent ? Les sensations (elles sont du domaine psychique même si elles ont le corps comme support) se succèdent l’une après l’autre selon leur objet, tantôt agréables, tantôt désagréables et tantôt neutres. Les pensées se déploient l’une après l’autre, parfois de façon très chaotique. Les émotions (évènements mentaux) varient selon la situation. Il n’est rien qui soit stable dans les processus s’élevant de l’esprit. Quand à l’esprit lui même, il est appelé continuum ou série psychique. Il est dit être une succession d’instants cognitifs, une série d’instant de connaissance. Donc que ce soit l’esprit lui-même ou ce qui s’en élève, nous avons affaire à un processus sans cesse changeant, même si nous le percevons comme une entité (c’est là qu’est notre erreur, notre méprise.) Donc, nous avons l’impression, en tant qu’individu, d’être une entité pérenne et autonome, en réalité, nous sommes un processus (process) composé issu de l’interdépendance. Nous somme processus et non matière ou entité.
J’espère que cela répond à votre question.
Jean Michel
/ 7 juillet 2014Merci d’avoir pris le temps pour cette explication. Vous avez répondu à ma question.
Houdebert sophie
/ 12 juillet 2014Je n’avais pas compris non plus proces, mais comprends bien process. Merci Puntso
Dhagpo Bordeaux
/ 12 juillet 2014Heureux que ce soit clarifié. Merci d’avoir posé la question, j’ai pu ainsi corrigé l’erreur.