De la compassion dans la médiation scolaire, un défi !

La compassion est d’abord un état d’esprit, elle peut se décliner dans toute profession ou activité. Olivier Coudroy, formateur en médiation scolaire, a acquis son expérience lors de sa recherche en doctorat et en menant différents projets de médiation en milieu y scolaire. Il ébauche la rencontre entre compassion et médiation. Tenter de réunir plutôt que de séparer, une pratique et un défi au quotidien.

Vous avez dit bonheur ?

Le point de départ de toute démarche spirituelle ne serait-il pas la prise de conscience de la souffrance ? Si tout allait bien pour tout le monde, il n’y aurait sans doute pas beaucoup de questions à se poser, chacun profitant de sa situation. À bien y regarder, il semblerait que la réalité du monde soit autre. Bien entendu, nous expérimentons tous des moments de bonheur, des situations agréables et nous rencontrons des relations qui nous font grandir.

Cependant, bien souvent, ces expériences sont marquées par une profonde insatisfaction. Que dire lorsque notre vie est caractérisée par un mal-être général, voire de véritables souffrances. Regardons en nous et dans notre environnement proche ou lointain la manière dont ces mots résonnent.

Lorsque nous avons une véritable conscience de notre propre situation et de celle des autres, nous ne pouvons faire autre chose que développer de la compassion. Sur base de la reconnaissance de la souffrance, le souhait de pouvoir en être libéré et d’en libérer autrui s’élève naturellement. Comment rester impassible à la vue d’un être dans la difficulté sans vouloir, dans l’intention d’abord, qu’il soit délivré de cette condition. Si, comme moi, cette pensée n’est pas toujours spontanée, voire parfois totalement absente, une des raisons s’explique par notre manque d’entraînement. Notre manque d’entraînement à voir, à être présent à soi-même et aux autres.

Dans la considération de l’autre, un sentiment corolaire peut également s’élever : l’amour. Pour Jigmé Rinpoché : « L’amour est ce mouvement tout naturel qui consiste à souhaiter que cela aille bien pour tout le monde, soi-même y compris, bien sûr. » Tout le monde recherche le bonheur, notre amour s’exprime dans notre capacité, au minimum dans l’esprit, à faire en sorte que cela advienne.

Du côté des jeunes

Il semblerait que l’espace scolaire n’échappe pas au constat d’un bonheur relatif. La deuxième enquête nationale de victimation et de climat scolaire de 2013 montre que 93 % des collégiens sont satisfaits du climat à l’école.

Cependant, ce constat est entaché par la multiplication des micro-violences : insultes (57 %), vol de fournitures (47 %), surnoms méchants (39 %) et mise à l’écart (37 %). Il existe également de nouvelles formes de violence telles que la cyber-violence (13 % des élèves rapportent avoir été insultés via internet ou le téléphone portable). De plus, la part des multivictimations modérées est de 11 %, alors que celle identifiée comme du harcèlement est de 7 %.

Le dernier sondage de baromètre bien-être des adolescents montre que 72 % des jeunes se sentent bien à l’école mais que 45 % d’entre eux se disent souvent sous pression et 30 % rapportent avoir des difficultés à aller vers les autres. La médiation scolaire en tant qu’outil de gestion des relations a son rôle à jouer.

Communiquer autrement

Lorsque de petits conflits éclatent entre les jeunes, le recours à une médiation peut permettre de résoudre la situation. Toute la difficulté des relations interpersonnelles réside dans notre manque de capacité à nous mettre à la place des autres. Lorsque deux élèves sont en opposition, le ressenti se limite à l’expérience personnelle de chacun. Le médiateur va avoir pour rôle d’amener l’un et l’autre des partis à prendre conscience de la situation du point de vue de l’autre.

Plusieurs approches de la médiation sont possibles. Celles basées sur la Communication Non Violente de Marshall Rosenberg, comme le propose l’association Génération Médiateurs , me paraissent plus pertinentes.

L’élève médiateur va, dans un premier temps, reformuler les propos de chacun en se basant sur les faits, en essayant de les dissocier de leur interprétation émotionnelle. De cette manière, il est plus aisé d’avoir accès au point de vue de l’autre. Ensuite, le médiateur fait émerger le sentiment éprouvé par chacun. Petit à petit, il facilite la prise de conscience de la souffrance vécue par les jeunes. Des bribes de compassions sont expérimentées, les élèves en conflits prennent doucement conscience de la situation de l’autre. Dans un deuxième temps, le médiateur va faire exprimer les besoins de chaque élève médié. De cette manière, il amorce la possibilité d’entrevoir ce qui est bon pour l’autre. Cette étape se termine par la recherche d’un accord gagnant-gagnant. Il s’agit d’une mise en œuvre de notre capacité à aimer, à chercher ce qui est bénéfique pour soi et pour autrui.

Khenpo Yéshé Ouangden a enseigné à Dhagpo Bordeaux que pour développer un amour et une compassion juste, notre pratique devait être fondée, en premier lieu, sur l’équanimité. Dans la gestion des conflits, les élèves médiateurs rappellent en début de séance leur rôle : ni juges, ni arbitres, ils ne prennent pas parti. Cette étape est primordiale.

Nous avons la possibilité et la responsabilité dans ce monde difficile de développer plus de compréhension de soi-même et des autres. Tenter de réunir plutôt qu’opposer, voilà le socle de la construction d’une société plus harmonieuse et plus joyeuse.

Olivier Coudroy

médiation

Quatre entrées en la voie du milieu

La voie médiane est un moyen de ne pas se faire piéger. Elle n’est pas un consensus mou, elle est la brèche à trouver dans chaque situation, un déséquilibre stable. La voie du milieu est un entrainement, une façon d’éprouver les situations sans se faire illusionner.

Quatre exemples :

1. La voie du milieu des émotions 

Nous sommes sans cesse soumis aux émotions, elles colorent notre esprit, elles décident de notre perception. Bien souvent, elles agissent à notre insu.

– Extrême 1 : nous taisons l’émotion, on s’assoit dessus, on la colle au placard, bref, on la refoule. C’est alors la cocote minute qui, doucement, se met sous pression.

– Extrême 2 : nous exprimons l’émotion, malgré nous ou volontairement. « C’est de l’énergie qui se consume », se dit-on. Mais exprimer l’émotion a des conséquences et en plus, elle aveugle.

– Le milieu : apprivoiser l’émotion. Nous ne sommes plus dupe, on sait quand elle s’élève, on en connait les effets et au final, elle se dissipe. Peu à peu, elle ne nous contamine plus, il y a suffisamment d’espace pour la laisser être.

2. La voie du milieu de l’erreur 

Se tromper est inhérent à l’action. Que ce soit par le manque ou par l’excès, la justesse nous fait défaut. Trop de causes et trop de circonstances que pour maîtriser les situations, l’erreur nous dépasse.

– Extrême 1 : nous culpabilisons. Nous ne collons pas à ce que nous devrions être, nous nous sentons hors cadre. On se pense mauvais avec un sentiment d’irréparable. On est mal.

– Extrême 2 : on s’en fout, même pas mal, même pas peur. On plonge dans la négligence. On préfère regarder ailleurs. On verra plus tard.

– Le milieu : reconnaître l’erreur. Elle n’est jamais aléatoire, elle nait d’un contexte,  elle a son histoire. Elle est un symptôme et nous donne des clés. On peut réparer, on peut en apprendre.

3. La voie du milieu de la relation

Nous sommes toujours en relation. Parfois on aime, parfois non, parfois ça le fait et parfois ça gratte mais, toujours, nous sommes en lien. L’altérité nous interpelle, l’autre nous questionne, juste par ce qu’il est.

– Extrême 1 : complaisant, nous nous adaptons a tout prix ;  indulgent, toujours nous pardonnons. La relation est mièvre, fade, même si on fait bonne figure.

– Extrême 2 : intolérant, nous jugeons. L’autre est trop différent pour nous ; sourde condamnation de ce qu’il dit, de ce qu’il fait, de ce qu’il pense, même si on fait bonne figure.

– Le milieu : comprendre l’autre. Il est comme nous, il est vivant. Il cherche, pour sa pomme. Il navigue comme il peut, insatisfait.  Et il peut changer.

4. La voie du milieu de la méditation 

La méditation est un entraînement à la non distraction. Elle ouvre à un autre mode de connaissance de nous-mêmes et donc des autres. Elle pacifie et clarifie l’esprit.

– Extrême 1 : il n’y a rien à faire, on se relaxe, on se détend. Nous recherchons le bien-être, la simplicité. Méditer c’est être bien, en harmonie ; on pondère.

– Extrême 2 : rien n’y fait, on se bat, on torpille les pensées, elles nous encombrent. Nous cherchons le calme, l’apaisement. Que plus rien ne se passe et nous serons bien.

– Le milieu : éprouver le mouvement. Le laisser advenir, libre. Se détendre mais en vigilance, attentif mais en ouverture. Trop tendu, on relâche, trop ouvert, on revient. Méditer c’est voir sans se faire avoir.

D’un extrême à l’autre, nous sommes ballotés au gré des circonstances. L’extrême, parfois, est sournois, parfois il est extrême. Il est habitude, il est notre norme. Le débusquer, le démasquer et le dissoudre, telle est la voie médiane. Mais alors, que reste-t-il ? Du prendre soin à chaque fois renouvelé.

Puntso

[ Dans cet article, la voie médiane n’est pas abordée en tant que système philosophique établit par le Bouddha et développé plus tard par Nagarjuna ; il s’agit d’un état d’esprit tel qu’enseigné dans le bouddhisme. ]

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La mort, alors, n’a qu’à bien se tenir

L’avènement de la mort génère du chaos. La mort de l’autre nous sidère, elle entrave la pensée, elle empêche la logique du quotidien. La mort et son cortège d’inquiétudes, de peurs, de négociations, et de larmes. La mort est une injure au vivant ! Elle nous prend à chaque fois par surprise, même quand elle est attendue. On l’aime pas. Elle pue. Elle refroidit. Elle fait du vide qui nous remplit. Elle produit du manque, du silence inconfortable, des formules toutes faites. Elle n’épargne personne et puis plus rien. Et revoilà l’absence. On a beau résister, faire comme si et regarder ailleurs. On proclamera même, rebelle : «  la mort n’existe pas ! »  Elle est persistante : ce qui commence ne peut durer indéfiniment ; ce qui, ici, se rassemble, là se sépare ; ce qui a été construit se détruit, souvent petit à petit ; ce qui nait, disparait. Tôt ou tard.

Oui mais. La mort n’est pas une sentence, elle est un fruit. Elle est l’expression manifeste du changement, l’instant où la transformation devient visible, incontournable. La mort est le symptôme criant de l’impermanence qui, elle, est insidieuse. Elle avance masquée à nos yeux, imperceptible, invisible même. Pourquoi meurt-on ? Parce que l’on nait. Et une fois né, nous n’avons de cesse de changer. C’est dans le moment que cela se passe. Ça bouge tout le temps, ça se modifie, ça s’altère, ça se remanie. Il n’y a pas de même. D’instant en instant chaque infime partie de moi se transforme. Trouvez donc une cellule, un pore, un poil qui soit stable. Rien du tout. Ça file, ça défile.

Laissons la mort et parlons du changement, rencontrons les métamorphoses. Attention, c’est mathématique : pour qu’une chose change il faut que ses parties se transforment. Pour qu’elles se transforment, il faut qu’elles s’influencent l’une l’autre. (Ceci est vrai pour les parties des parties). La formule est simple, une triade inséparable : changement/composé/interdépendance. Attention, cela devient philosophique : il n’y a donc pas « d’être » aux choses, elles ne sont qu’une dynamique. Nous ne sommes pas matière, nous sommes proces. Le mouvement est constant. Les parties dont nous sommes composées sont dépendantes les unes des autres et se transforment, encore et encore. Depuis le début de la lecture de ce texte, vous êtes déjà autre, ce qui vous compose a changé. Attention, cela devient flippant : la vie nous dit : « impermanence » et nous répondons, trop fier : « un, permanence ».

Ce n’est pas l’impermanence qui fait problème, les choses changent de toutes façons. C’est notre déni de l’impermanence qui nous accable. C’est ce déni qui rend la mort insupportable car nous refusons ce qui nous y mène. Les choses changent et nous les percevons comme pérennes, elles sont composées et nous les saisissons comme entités, elles sont dépendantes et nous les concevons comme autonomes : « Je suis une entité indépendante qui dure » Comment voulez-vous alors que la mort ne nous prenne pas par surprise ?

L’impermanence est notre meilleure alliée. A jouer à cache cache avec elle, on sort toujours perdant. Et pour longtemps. Apprivoiser l’impermanence c’est se lier d’amitié avec le réel, c’est frayer avec le vrai, c’est prendre soin. Revisitons l’impermanence, explorons-là, laissons-là nous surprendre, déshabillons-là. Et quand l’impermanence nous devient familière, l’illusion s’estompe, le faux-semblant s’efface. La mort, alors, n’a qu’à bien se tenir.

(A Shamarpa)

Puntso

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La posture, une évidence trompeuse

Claude Magne, qui assume aujourd’hui la responsabilité du centre zen Dôshin à Bordeaux, nous parle de la posture de méditation. Ici la posture n’est pas seulement un moyen ou une technique ; elle est la méditation elle-même et la méditation est la réalisation. Claude nous emmène dans l’expérience de la posture. « La posture est la forme, comme conscience et non comme conformité à un modèle. » nous dit-il. Le langage est parfois poétique, parfois technique, toujours sensible. Une autre façon de vivre la posture.

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La posture n’est pas une forme, une position à prendre, à laquelle le corps doit se conformer. La notion de posture est à prendre au sens large : une manière d’appréhender l’expérience de l’assise, une attitude en recherche d’équilibre qui est l’expression globale de la posture intérieure du pratiquant. Il s’agit d’une dynamique interne et externe, composée de mouvements perceptibles, des plus grossiers aux plus subtils qui révèlent différentes facettes de la personne : sa relation au sensible, au perceptif, au cognitif, à l’émotionnel. Elle est vie, c’est-à-dire mouvement et matière en constante métamorphose. Elle est en constante évolution, entropie et renouvellement.

La posture est donc un processus plus qu’une forme. Elle peut se décrire différemment selon les personnes et les moments. Elle se manifeste par diverses expressions dans la présence. Elle est une expression de par sa verticalité, son équilibre, sa tension, sa respiration, son occupation de l’espace, son rythme interne.

La posture enfin, est la capacité d’ouverture. Nous y découvrons différentes portes d’accès à nous-mêmes. Nous devenons ajustables et acceptons de penser de manières variées. Nous entrons en relation avec la profondeur, dépassant les cinq sens pour vivre en conscience des aspects subtils de notre organicité : l’expérience de notre dimension somesthésique. Puis nous comprenons l’interaction avec l’environnement. Cette plasticité, cette ouverture au changement est la posture. Elle est, par le corps exposé, fenêtre sur soi et sur le monde, à l’interaction des flux qui entrent et sortent du dojo. Vivre le changement et sentir l’interdépendance des différentes instances qui nous composent, les harmoniser, se fondre dans le mouvement de va et vient entre perception et désir d’agir, voilà la posture de zazen.

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L’assise silencieuse ne peut être ni un moyen technique, efficace, auquel il faut se contraindre, ni un objectif à atteindre. C’est, dans le meilleur des cas, le moment d’une présence, un présent, dans le sens de cadeau et d’acte de don, et aussi un moment inscrit hors du temps fonctionnel, le Présent. Ce présent n’est pas un point fixe qui se déplace dans l’horizontalité du temps, ce n’est pas une expérience suspendue hors de cette continuité, ni un cycle de renouvellement. C’est plutôt une étendue de temps et de matière sans caractéristique propre, traversée par toutes les formes possibles, unifiée par la capacité de métamorphose de l’esprit vaste.

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La première chose à observer est le ralentissement extrême. Nous rentrons dans la lenteur et laissons courir l’activité ordinaire du mental et du corps. C’est comme se trouver à l’abri d’un vent violent et l’entendre filer au-dessus de nos têtes. Par cette lenteur notre activité interne se déploient, apparaissent les points fixes, les agitations, les rumeurs. Peu à peu se dessine notre contours corporel et perceptif, nous voyons apparaître des angles morts dans la perception de nous-mêmes, des zones insensibles dans le corps. Alors il nous faut bien considérer que zazen est une pratique globale de l’être-là.

La totalité de nos constituants est concernée : le corps avec les sens, la profondeur sensible des organes, des ensembles musculaires, ligamentaires, osseux, l’émotion, la réflexion, l’imaginaire, la construction de la pensée. Nous voyons clairement le déploiement incessant de l’activité, et par l’apparente immobilité, la suspension de toute action volontaire. Chaque chose nous fait signe et nous commençons à entendre, à lire ce qui s’annonce. C’est notre intention en pratique : saisir les signes qui déploient ici et maintenant la danse des phénomènes sur fond d’espace infini.

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Les occidentaux ont une perception du corps qui est souvent déficitaire, un apprentissage est souvent nécessaire pour retrouver une certaine proximité avec la sensation corporelle. Nous identifions le corps à un ensemble somatique, mécanique, dont nous prenons soin, au mieux comme d’un jardin pour sa beauté, sa santé, son efficience. Cette conception est insuffisante pour comprendre le sens de la méditation assise. Pouvons-nous concevoir l’ensemble de ce que nous sommes comme un tout intelligent qui, une fois relié et unifié dans ses grandes fonctions ouvre pour l’homme à une juste compréhension de ce qu’il est ?

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Si nous maintenons la posture par la volonté, voulant correspondre à l’image que nous entretenons, à une représentation de ce que nous devons être en zazen, nous ne pouvons nous détendre, nous abandonner et recevoir les signes d’une ouverture, une manière d’être plus accueillante. Il est nécessaire de laisser tomber tout vouloir et tout désir de conformité pour accéder à une conscience de soi plus profonde. Cette attention ne se fait pas spontanément il est nécessaire d’être accompagné sur cette voie.

L’éducation du corps est presque un préalable à la pratique de zazen, Elle facilite la compréhension et nous soulage des malentendus qui sont du à notre incapacité à percevoir les messages corporels. C’est un véritable travail d’émancipation du ressenti corporelle qu’il faut poursuivre pour ne plus être soumis au mental qui rigidifie, contraint et empêche toute expression unifiée de notre personne.

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Si la présence est au-delà de toute forme, elle n’est pas pour autant dénuée de forme, c’est-à-dire de conscience. C’est la forme, comme conscience et non comme conformité à un modèle. La conscience reconstruit a posteriori et organise le vécu. Elle oeuvre à comprendre la posture et à l’apprécier, elle renouvelle notre représentation du monde avec finesse. La posture juste est toujours à venir.

Claude Magne

Nous remercions Claude pour son autorisation à publier ces extraits issus d’enseignements transmis durant des temps de retraite.

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Le respect de soi

La notion de respect de soi dans l’approche bouddhiste est singulière. Dans notre culture, la notion de respect de soi est souvent associée à la connaissance de ses propres limites et du fait de savoir les respecter, et de les faire respecter. Il s’agit de ne pas se laisser imposer des choses à faire ou à dire qui ne nous correspondent pas ou qui ne sont pas en accord avec nos convictions.

Le respect de soi commence par la connaissance de soi et l’acceptation de soi. Connaitre ses défauts, ses manquements, ses dysfonctionnements, etc, et savoir les accepter pour ce qu’ils sont, des lieux de travail.

Notre fonctionnement, basé sur la saisie d’un soi réellement existant, durable et autonome, nous amène à dépendre de nos représentations. Et nous sommes très attachés à nos représentations qui, pour nous, sont notre réalité.

Notre fonctionnement 

L’être humain, riche d’un potentiel de sagesse et doté d’immenses qualités, est connaissant, capable d’expérimenter. C’est sa caractéristique même, mais sa manière de connaitre lui-même, les autres et le monde est limité, conditionné par un fonctionnement centré sur lui-même.

Lorsque nous disons « moi », de quoi s’agit-il au juste ? Nous sommes doté d’un corps, et au travers de nos sens, nous avons accès à nous-même, aux autres et à ce qui nous entoure. Notre rapport aux objets de perception s’établit sur base des différents fonctionnements de l’esprit, et nourrit par les émotions d’attraction, de répulsion ou d’indifférence, nous en avons une connaissance subjective.

Pour un même objet de perception, selon la personne qui l’éprouve, l’expérience peut être du domaine de l’attirance ou du rejet, du sentiment de supériorité ou d’infériorité, de la comparaison, de la réjouissance, de l’ouverture, de l’inquiétude, etc. Cela donne, au bout du compte, une attitude d’esprit faite d’un mélange d’événements mentaux qui peuvent être très sophistiqués et qui décident de notre réaction face à la situation rencontrée.

Ainsi, ce « moi » est une identification sans cesse répétée à un corps, support des expériences sensorielles, mentales et émotionnelles qui nous font expérimenter le monde, les autres et nous-même au travers du filtre de nos habitudes mentales. Cette identification est ce qui est appelé la saisie égocentrée, parfois traduit par ego, mais ce terme prête à confusion parce qu’il ne recouvre pas le même sens que dans l’approche occidentale.

Nous nous identifions à ce mode de connaissance, c’est-à-dire que nous limitons notre connaissance en nous identifiant à ce processus, alors qu’il y a plus à connaitre. Notre mode de connaissance est ainsi conditionné par nos perceptions et nos tendances. Ceci est fondé sur une méprise qui est surtout le fait de ne pas voir ce qui est véritablement.

Ce qui nous amène à voir, sur base de nos représentations, « notre » réalité que nous prenons pour « la » réalité. C’est un aspect que nous pouvons très facilement accepter conceptuellement, mais au quotidien, nous sommes fascinés par ce que nous percevons et pouvons difficilement, en situation, remettre en question notre perception des choses.

Nous sommes certain que ce que nous percevons est la réalité, que notre réaction émotionnelle dans une situation, quelle qu’elle soit, est justifiée par le comportement des autres. Pourtant, l’autre n’est que la circonstance de ma réaction émotionnelle, l’émotion m’appartient, comme il m’appartient de la voir ou pas, de la suivre ou pas, d’en assumer la responsabilité ou pas.

Il s’agit là d’une étape importante, parce que nous ne pouvons changer que ce que nous acceptons. Et accepter de reconnaitre, par exemple, que ce n’est pas l’autre qui m’énerve, mais que c’est moi qui m’énerve au contact de l’autre parce qu’il ne fait pas ou ne dit pas ce que j’attends de lui.

Il nous parait évident que les situations devraient se dérouler comme nous l’envisageons, parce que c’est « ainsi » que cela doit se passer ! Sans vraiment prendre en compte que tout ne dépend pas de nous, que tout change d’instant en instant et que nous sommes bien incapable de savoir ce qui se passera l’instant suivant…

Et pourtant nous continuons à penser que les choses devraient se passer comme « je » crois qu’elles devraient se dérouler. Et comme cela ne marche pas vraiment, nous réagissons avec colère et impatience !

Ce qui n’est pas un problème en soi, si ce n’est que cela génère de l’insatisfaction pour soi et pour les autres, si ce n’est que cela renforce notre tendance à réagir face à ce qui nous dérange par le rejet et que cela augmente encore et encore les causes de souffrance. D’où la proposition bouddhiste d’apprendre à appréhender notre fonctionnement avec bienveillance et douceur.

Se respecter, c’est respecter son éthique

L’éthique bouddhiste a pour but de nous permettre de faire des progrès sur le chemin. Pour ce faire, notre attention et notre vigilance sont appelées à être mobilisées pour reconnaitre ce qui, dans notre fonctionnement, nous éloigne du chemin et ce qui nous en rapproche.

L’éthique bouddhiste est basée sur le fait que nos actions, que ce soit au niveau du corps, de la parole ou de l’esprit, ont des conséquences pour nous-mêmes et pour ce qui nous entoure, les autres comme notre environnement. Il y a deux sortes d’actions, les actions positives et les actions négatives.

Les actions négatives sont celles qui prennent leurs racines dans les trois émotions perturbatrices que sont le désir/attachement, l’aversion et l’ignorance. Elles tendent à avoir des conséquences néfastes pour nous ou pour les autres.

Les actions positives sont celles qui sont exemptes d’émotions perturbatrices et qui, au contraire, sont motivées par la générosité, l’amour, la compassion et le discernement. Elles tendent à avoir des conséquences positives pour nous et/ou pour les autres.

Dans le bouddhisme, une action n’est ni bien ni mal en elle-même, mais est favorable ou défavorable selon la motivation et l’état d’esprit qui la sous-tend. Il s’agit de développer la conscience que les actes dans lesquels nous nous engageons nous éloignent ou nous rapprochent de notre but. Ce qui induit une clarification de notre motivation, qu’est-ce que je veux vraiment, vers quoi je souhaite aller et qu’est-ce que je suis prête à mettre en oeuvre pour y parvenir.

Sur base d’une conscience des conséquences de nos actions des corps, parole, esprit, il s’agit d’être attentif à ne pas se laisser emporter par les mouvements émotionnels qui nous traversent, mais s’entrainer, encore et encore, à ne pas les suivre. Cet entrainement se cultive dans la méditation et se décline dans nos relations au quotidien.

Le respect de soi comme respect de son éthique

En respectant l’éthique que nous choisissons, parce qu’elle est un soutien, un guide vers le but visé, nous nous respectons en ce sens que nous mettons en oeuvre ce qui est le plus important pour nous. Ce faisant, nous assumons la responsabilité de nos actes et de notre chemin.

De plus, c’est parce que nous posons ce regard bienveillant et vigilant sur nous-même que nous pouvons considérer les autres avec cette même vision. Ainsi, se respecter soi-même amène, de façon naturelle, à respecter les autres et leurs propres valeurs.

Se respecter, c’est vivre l’éthique, attentif à ne pas nuire et à accomplir le bienfait d’autrui, en considérant nos manques, en s’appuyant sur nos ressources et en cultivant une plus vaste connaissance de notre fonctionnement.

Trinlé

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