La communication toxique (mais pas que)

La communication comme entrainement

La communication est toujours au service de quelque chose : elle n’existe pas pour elle-même. Evidemment, elle informe mais elle a bien d’autres fonctions : nourrir une relation, clarifier un projet, détendre ou répondre à une angoisse face au silence, elle comble ou elle construit, elle manipule aussi.

La communication est un composé : en plus du message que nous souhaitons transmettre, il y a les éléments intérieurs comme la motivation, l’émotion, le mental, le corps, le langage, etc. Il en va de même pour celui vers qui nous communiquons. La communication est, de fait, altérité. Et puis, il y a l’environnement, le contexte. Nous maîtrisons certains de ces éléments mais d’autres nous échappent. En percevant cette dimension composée, nous ne vivons plus la communication comme un tout monobloc ; cela donne des portes d’entrées pour la travailler.

La communication est une dynamique : il n’y a pas de communication immobile, elle est toujours interaction et elle s’inscrit dans la durée. La communication est mouvement, elle peut donc évoluer ; elle a d’ailleurs souvent besoin de temps. Cela signifie également qu’elle est progressive, et travaillable.

La communication est forte de conséquences : elle n’est pas anodine car elle  est le moyen d’exprimer du sens et, même, de participer à son élaboration. De ce point de vue, elle est une force car elle a une influence sur l’environnement, sur l’autre et sur nous-mêmes.

Pour ces différentes raisons, la communication idéale n’existe pas. Elle dépend des circonstances, de l’état d’esprit, elle demande des réajustements, elle se construit. La communication est entraînement.

La communication éthique

Dans le cadre du bouddhisme, la communication a pour propos de faire sens et de construire une cohérence. Il s’agit d’abord de déployer une communication qui ne nuit pas, qui ne génère pas plus de confusion (sauf si celle-ci est une étape vers plus de clarté). Ensuite, la communication est une ressource c.à.d qu’elle nourrit le but que nous nous sommes donné. Et enfin, le propos de l’entrainement est d’aboutir à une communication fertile. Elle tient alors compte de l’environnement et de l’interlocuteur (ses besoins, son rythme, ses modes relationnels). Elle est soutenante.

Les communications toxiques 

Quelques points de repères formels pour repérer les modes de communication qui entravent la cohérence, qui détournent du sens choisi.

La communication qui trompe : c’est la communication des sous-terrains qui ne dit pas ses intentions. Dans cette façon de communiquer, il y a un décalage entre notre motivation réelle et celle que nous exprimons. Nous trompons notre interlocuteur à notre propre profit. Nous manipulons les faits, le réel. D’une manière ou d’une autre, ce mode d’échange empêche la confiance. On trouve aussi dans cette façon de faire, les promesses non tenues, les mensonges du quotidien et tout ce qui ment sur ce que nous sommes en réalité.

La communication clivante : elle empêche l’harmonie, elle sépare, elle monte les uns contre les autres, toujours à notre profit. C’est dans ce contexte que nous pouvons comprendre la force des mots : calomnies, dénigrements ou insinuations, que la personne concernée soit là ou non, modifient le regard et la perception que l’on en a. Parler de l’autre c’est proposer une manière de l’envisager.

La communication blessante : c’est la flèche décochée dont on sait qu’elle sera douloureuse pour l’interlocuteur. C’est comme si il y avait un secret plaisir à esquinter l’autre. Qu’elle soit directe ou insidieuse, matinée d’humour ou dure, la parole blessante laisse des traces, elle nourrit les afflictions.

La communication insouciante : c’est la parole sans conscience, l’anodin, le futile qui semble être au service de rien mais qui joue quand même de son influence. Cette parole insouciante aboutit à un moment ou un autre aux trois communications toxiques précédentes ; l’absence de vigilance laisse la place à une parole qui ne maîtrise plus son message, qui se laisse déborder par le langage. Elle peut aussi être juste mais adressée ni au bon interlocuteur, ni au bon moment. Elle est gaspillage.

Le propos est de dégager notre communication de ces quatre aspects afin qu’elle participe à la cohérence de l’éthique. Mais cela ne s’improvise pas. Même sans être mal intentionné, nous savons bien comment il est aisé de tomber, par la force des habitudes, dans l’une ou l’autre de ces communications toxiques, voire même de les combiner. Non seulement cela ne s’improvise pas mais nous ne pouvons nous forcer à nous en extraire. Il nous faut donc rassembler les conditions qui nous permettent de nous entrainer à une juste communication.

Oui, mais…

Néanmoins, ne nous laissons pas prendre par la forme. Un exemple issu de la tradition bouddhique : Si, me promenant dans la campagne, je vois passer un lapin puis, quelques instants après, un chasseur. Si celui-ci me demande par où est passé le lapin, je lui indiquerai une direction contraire. Tromper devient ici une qualité (dans la mesure où la mort du lapin et le désir de tuer du chasseur me concernent).

S’abstenir de la communication blessante ne doit pas empêcher la confrontation. La confrontation des idées est une nécessité pour faire sens. Parfois, même avec toutes les précautions prises, la confrontation peut être en elle-même blessante. Ici, le fait de blesser n’est pas le but mais une étape du processus.

De même, éviter la communication clivante ne consiste pas à ne rien penser ou dire des autres. Bien des situations nous obligent à évaluer les personnes ; évaluer n’est pas juger. Néanmoins, la frontière émotionnelle est mince entre évaluation et jugement de valeur. Cela demande de la vigilance afin que l’une ne contamine pas l’autre. En fait, notre jugement contamine de fait l’évaluation, il s’agit de préserver une attention qui nous permette d’identifier le jugement au moment même de son déploiement afin de ne pas y succomber.

Enfin, se dispenser d’une communication insouciante ne suppose pas de se cantonner à une parole utilitaire. Il s’agit de s’entrainer à une communication de la double écoute : soucieuse de l’autre et consciente d’elle-même.

Ce qui décide donc de la justesse de la communication ne dépend pas de la forme qu’elle prend mais d’abord de la motivation qui la soutien.

Puntso

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Dharma, un soutien dans mon quotidien.

Un nouveau témoignage, d’une toute autre nature que celui de la semaine passée. Philippe Levan, ingénieur aéronautique et bouddhiste, partage avec nous l’expérience qu’il a de sa pratique au quotidien. Le texte est direct, il nous parle comme si nous étions assis à sa table. Il n’hésite pas néanmoins à aborder les pièges, les questionnements, les hésitations et les petites victoires de quelqu’un qui s’entraine à vivre le dharma, l’enseignement du Bouddha, comme un soutien au quotidien.

Dharma, un soutien dans mon quotidien.

Je dis bien « mon quotidien » et non « le quotidien » : car ce dont je peux témoigner n’est que l’expression de mon expérience, d’aujourd’hui. Je ne peux donc pas tenir lieu de référence ou de vérité, sauf si comme disent les enfants « on aurait dit que je serais » Bouddha ! » Mais je m’en serai rendu compte… Et si le Dharma est universel, son soutien quotidien est singulier, car chacun en est où il est. Evidence évidente direz-vous, tautologie (non, non, une tautologie n’est pas une blague à Toto, c’est frôler lapalissade, en un mot), mais dire que l’on part d’où on en est et que l’on fait de notre mieux est pour moi plus souvent une rhétorique familière qu’un comportement incarné ; comme si vouloir être autre ou ailleurs était cardinale de mon profil occidental…

Ensuite le Dharma n’est pas une voie qui se pratique uniquement dans un temple avec les happy few, genre je suis dans le Dharma quand je passe la porte du private club et je n’y suis plus qu’en j’en sors. Le Dharma en tant qu’enseignement a pour essence d’être au monde, tout comme une bonne lecture nous nourrit dans la vie au-delà de l’ambiance feutrée de la bibliothèque, il s’applique à notre vie courante et soutien notre façon d’être au monde et aux autres, de penser notre vie. Et son but. Non pas dans l’optique de donner une n-ième vision cosmologique/modèle du monde ou de fournir un package dogmatique qu’y-à-qu’à-faire-comme-ça, mais de proposer un chemin dans le but simple et immense de nous libérer, ou au moins de progresser, approche humble du randonneur adepte du pas à pas.

Pour ce faire, sachant que le Bouddha a donné 84000 types d’enseignement, je me contente chaque jour d’appliquer les 84000 propositions. Et voilà ! Fastoche. Non c’est une blague. J’en applique juste 64250… Plus pragmatique, voici quelques thèmes choisis.

De la méditation.

On peut méditer pour se détendre ou pour vivre autrement l’expérience présente, reconsidérer la relation sujet-objet, et donc modifier notre relation aux sensations, émotions, pensées ; simplement vivre mieux. Certaines pratiques de relaxations, développements personnels ou gymnosophies peuvent aussi aider en cela. Toutefois, on peut aussi méditer pour aller à la rencontre de la réalité ultime des phénomènes, y compris celle notre propre esprit, et cela est proprement libérateur… Ainsi sommes-nous ici dans une méditation dont l’optique est fondamentalement spirituelle, avec une vue un chouilla plus vaste. Il existe plein d’autres méditations ; la seule bonne pour moi étant celle qui répond à la question « Quelle est ma motivation, quelle est mon aspiration ? » ou plus banalement « Que veux-je !? » (Non, non, pas « Dans quelle étagère? »). Dans ces différentes optiques, je fais ma tambouille journalière.

J’apprécie l’apaisement et le recentrage de la méditation. Elle m’est aidante dans un monde ou l’instantanéité et le tout-tout-de-suite est de mise (vite vite mon mail !) et l’éparpillement (je pense simultanément à hier, demain, je fais la vaisselle en même temps que je téléphone et que je dis à mes proches « mmh… oui, oui, bien sûr, j’entends »…) nous met actif dans tout, mais présent à rien.
Elle m’aide doucement à passer du faire à l’être.

Je traverse aussi plus facilement les situations (genre le collègue hargneux ou lorsque les choses ne sont pas comme je voudrais impérieusement qu’elles fussent.) où, au lieu d’être « embarqué » par l’émotion, j’observe sans jugement cette même émotion qui me traverse, donnant l’espace et le recul salvateur. Alors je peux poser un comportement plus adéquat, plus réfléchi, plus posé, plus souple, qu’un direct instinctif « sgron gneu gneu , vous, vous, vous… ». Même type d’observation neutre que celle pratiquée sur le coussin, où toute expérience ou évènement intérieur est simplement regardé, sans jugement. Le nuage qui passe. Non pas pour se transformer en vache regardant passer le train dans une extase bovine, mais en oiseau au regard perçant qui considère tout l’espace du ciel bleu, et ne suit pas le nuage comme s’il n’y avait « que » le nuage.

Entre suivre complètement une émotion (je kiffe un max les fraises, m’en montrez pas sinon je gloutonne… et j’ai mal au ventre) et la refouler (attention ici, terrain dangereux ; pas genre mines, mais bombes à retardement) j’aime à me dire que la capacité de choix dans l’instant est quelque part l’expression d’un libre arbitre, d’une capacité de choix sur base d’éthique, de clarté, de compassion, un brin d’éducation à une liberté qui me plaît bien, la liberté intérieure. Je m’applique alors à prendre cette voie entre les deux.

Bien sûr, plein de fois (en majorité d’ailleurs, dois-je avouer pour ne pas passer pour un faux yogi 5ème dan.) ce n’est pas si simple (enfin si, c’est simple, mais pas facile.) mais les moments où « ça marche » se multiplient, et cette victoire « sur soi » est plus nourrissante et durable qu’une quelconque victoire sur un adversaire extérieur ! J’ai un indicateur simple : dans des situations déjà expérimentées dans le passé, plus de quiétude, plus d’attitude apaisée de mon interlocuteur (on est co-auteur de ce qui est en train de se passer entre nous), et le sentiment ténu mais ô combien réjouissant d’avoir été juste ou au moins d’avoir essayé de l’être. Pour l’autre. Pour soi. Et quelque part pour le monde entier.

Du bienfait, de la compassion, de la générosité, de l’« être juste ».

84000 c’est trop pour ma petite personne. Alors il est une stance parfois citée pour résumer le bouddhisme en une phrase (the bouddhist digest!) « Arrêter ce qui est nuisible, cultiver le bénéfique, maîtriser son esprit ». Même les publics non familiers connaissent un peu cela, une image courante étant Bouddhisme = Compassion (+ exotisme et yeux bridés). Pourquoi ne pas s’efforcer de l’appliquer chaque jour ?

Parce que c’est un dogme ? Non. Trop l’esprit critique pour suivre un dogme.

Parce que c’est une loi ? Raté. La loi n’a de sens que si elle a un sens (si si, relisez bien) et donc elle n’est plus loi puisqu’elle est sens, c’est-à-dire que je peux la suivre sans qu’elle me soit légiférée…

Parce que je veux être un bon pratiquant ? Inconsciemment, sûrement ; qui ne veux pas être « bon » dans la voie qu’il se donne?

Parce que je veux être quelqu’un de bien ? Sûrement, mais je travaille cette motivation car si elle peut avoir un effet bénéfique à court terme, l’intention, la motivation sous-jacente, l’état d’esprit qui préside à cette tendance mérite que je la regarde crûment, afin d’éviter de tomber dans le piège de l’être de surface. La qualité d’un acte se mesure à l’aune de l’état d’esprit qui le préside.

Parce que c’est libérateur ? Oui, complètement oui, mais je ne suis spirituellement pas assez avancé pour dire que cela soit le moteur unique pour moi.

Alors pourquoi ? Parce que ça me procure de la joie.
Faire le bien. Etre aux autres. Donner sans attente. Aimer. Prendre soin du monde. Suivre son éthique plutôt que ses impulsions…
Cela me nourrit, m’énergise dirais-je. Bien sûr je n’y suis pas tout le temps, très loin de là ; il y a les tendances, les rails comportementaux, les émotions débordantes ; et qu’en j’y suis, dans ces erreurs, blessures que j’inflige à l’autre, les voir me rend content de les voir mais affligé de leur présence ; pas envie de recommencer ; dégoût. Alors dans un élan de compassion pour moi-même je me dis « feras mieux la prochaine fois », avec une conviction profonde, celle qu’être bienfaisant est joie et libération, un peu comme quand on réalise intimement que finalement, aimer les autres (au sens compassionné, pas au sens émotionnel) est bien plus facile et léger que de ne pas les aimer…

Tous les jours, essayer d’être bénéfique (tranquillement, opiniâtrement, avec ces erreurs fondement du processus d’apprentissage), en remplissant l’espace de bonnes tendances qui ne laissent pas d’espace aux mauvaises, tout comme la lumière qu’on allume inonde celui de l’obscurité. Magique. Alors je me couche en revoyant trois de ces bienfaits de la journée ; et s’il y a des ratés … euh… un peu plus que trois… je les regrette et les veillerai demain.

De la Prajnaparamita (Sagesse Transcendante)

L’approche des sagesses est enrichissante : essayer d’approcher le réel, comprendre et expérimenter sa réalité ultime, son essence, sa transcendance ou son immanence est soutenant pour ma relation quotidienne au monde.

Prise de tête ? Pas forcément. Prenons l’exemple de l’impermanence.

Même sans aller jusqu’à l’impermanence subtile décrite dans les enseignements (sur base de laquelle les choses ne sont « manifestes» que parce que justement elles se transforment en permanence, les rendant vides d’existence intrinsèque – vite une aspirine !), simplement l’impermanence grossière, celle qui amène à notre raison ce que nos sens ne voient pas, à savoir que rien n’est figé  (ni vous, ni moi, ni nos émotions, ni la pomme sur la table, ni la table, ni la maison, ni cette colline ou cette montagne, ni cette terre, et ni même cet univers) donne à ce qui m’entoure une valeur bien plus grande, justement parce que cela ne sera pas toujours. Arrive alors une volonté, en apparence (seulement…) paradoxale de prendre soin, non pour que cela dure, mais parce que sa non-durabilité le rend précieux ! Ainsi les choses difficiles me semblent plus légères, car elles (ou ma façon de les vivre) se transformeront un jour ou l’autre. Et si les bonnes choses ont une fin, cette fin est plus naturelle, comme dans l’ordre naturel des choses. Ce sentiment est comme toucher un peu l’état d’être en accord avec ce qui est. Cool.

De la même façon, poser sur la réalité, outre le regard de l’impermanence, celui aussi du composé, de l’interdépendance, et encore plus celui de la vacuité, change doucement (piano, piano) ma relation au monde qui m’entoure, vers plus de justesse. Ce n’est plus la simple explication du monde que je quête, mais la rencontre de son essence. De ce qu’il est. De ce qui est. De l’invisible. Et peut-être de l’indicible. Du non conceptuel.

Tout comme l’enfant qui croit au loup dans le bois fera des kilomètres pour contourner le bois alors qu’il n’y a pas de loup, ma façon de me comporter dans le monde dépend de ma représentation du monde, de mes croyances.

Et pour ne pas planer à 10000 ou me prendre pour un personnage de « Matrix », mon indicateur ici est simple également : c’est quand je vis la même impression que lorsque je reviens par exemple d’un voyage ou d’une pause où j’ai « décroché », et que les composantes de ce qui m’entoure prennent des importances nouvelles (en plus ou en moins), plus justes, comme une nouvelle « reliance » à ce qui est.

Mais mon chemin est long, car trop pris par le mental je manque de réalisation : dans le triptyque bouddhiste « Etude (apprendre), Réflexion (réfléchir, questionner, approfondir l’enseignement), Méditation (pour actualiser le savoir, expérimenter, toucher par l’expérience directe et non plus par les concepts) » je suis encore trop dans « Etude – Réflexion » comparé à « Méditation », trop dans le concept comparé à l’expérience. Mais les progrès sont motivants !

Et voilà trois thèmes parmi d’autres. Je traiterai les 83997 autres la prochaine fois, mais ayant évoqué la réalité indicible, il est temps d’y passer, donc j’arrête le dicible !

Et je vous laisse à votre vérité et à votre expérience, vous la souhaitant libératrice.

Philippe Levan

Humour Méditation

Le miel et le rasoir

Ce blog laisse également la place à ce que l’on pourrait appeler une dimension poétique de la pratique spirituelle. Le texte qui suit nous parle de l’impermanence, de nos attachements, de l’altérité et de la foi, mais il n’explique pas, il donne à éprouver.
 L’une ou l’autre précisions pour mieux comprendre :

Le terme « lama » dans le bouddhisme himalayen (vajrayana) recouvre de nombreuses significations différentes. Outre la personne du lama, qui se caractérise par des qualités de bienveillance et de discernement, ce terme fait aussi référence à l’esprit lui-même dans sa dimension de sagesse, c.à.d l’esprit dont les obscurcissements ont été dissipés. Cette dimension de sagesse (dharmakaya) se déploie sous différentes formes  (sambhogakaya et nirmanakaya) pour accomplir le bienfait des êtres. Cette approche est liée à la notion de nature de bouddha présente en chacun. Autrement dit, les qualités de sagesse sont déjà présentes en chacun de nous et le chemin consiste à les dévoiler. « Prier le lama » est une façon de se relier à ces qualités. En fait, on active ces qualités déjà présentes afin de dissiper ce qui nous empêche de les reconnaître. C’est tout le principe du vajrayana et c’est à cette dimension que fait référence le texte de Véronique.

« Avec tous les êtres, dans tout l’espace, nos mères » fait référence à la dimension de compassion. Le chemin ne se parcourt pas uniquement pour nous-mêmes, mais en y associant tous les êtres qui sont dans la méprise de leurs qualités et donc dans le mal-être et la souffrance.

Nous espérons que cette courte explication permette d’apprécier le texte dans toute sa profondeur.

 

Le miel et le rasoir

 

Squelettes

Enveloppés de soie

Nous contemplons les fleurs

Ueshima onutsura

Ce serait une chambre d’hôpital.

Un seul lit.

Sur une table, près de la fenêtre, seraient posés des fleurs, un cadre, un chapelet, un lecteur CD.

Près du lit, assise sur une chaise, une femme.

Dans le lit, sous le drap sans pli, une vieille dame, la tête tournée vers la fenêtre.

Les yeux sont grand-ouverts, fixes, sans expression.

La femme assise regarde ce visage.

Ce serait un mois d’hiver entre chien et loup.

Ce serait un dimanche opaque.

Ce serait un jour pour mourir.

Encore une séparation, encore une douleur.

Même si rien n’est survenu dans la soudaineté, même si rien de tout cela ne m’est étranger.

Même si l’accompagnement se fait dans le calme, la douceur, la tendresse.

Même si les enseignements du Bouddha…

Encore la sidération et le chagrin.

 

« Avec tous les êtres dans tout l’espace, nos mères, nous prions le lama, précieux bouddha ».*

 

C’est de ce corps aux jambes scyanosées que je suis née.

C’est dans ce corps, à présent décharné, que mes tendances m’ont projetée.

C’est un corps semblable, qu’à mon tour j’aurai.

C’est ce que je cherche à oublier chaque matin au réveil.

C’est ce qui parfois se rappelle à moi au milieu de la nuit.

La peau est devenue un parchemin, la chair s’est retirée jusqu’à faire paraître les yeux démesurés.

Le crâne est arrivé.

Le squelette a émergé.

Ne laissant rien de connu de ce corps que j’ai tant de fois lavé, habillé, nourri ; de ce visage tant de fois embrassé.

Le transformant au point de ne plus pouvoir le nommer « mère ».

 

« Avec tous les êtres dans tout l’espace, nos mères, nous prions le lama, corps du dhama omniprésent, dharmakaya »*

 

Quel est le lien entre ce corps et ce mot ?

Mère, c’est une fonction, un lien, une histoire.

Ma mère, c’est un être vivant, des yeux qui me reconnaissent, une voix qui me nomme.

Mais si je n’ai plus ce regard pour me valider dans ce lien, en quoi est-elle encore ma mère ? En quoi suis-je encore sa fille sinon par le souvenir seul de ce qui a été vécu, partagé…. c’est-à-dire ce qui n’est plus.

Que sommes-nous à présent l’une pour l’autre ?

Je crois que ma souffrance ce loge là, à cet endroit précis où vacille mon identité.

Je suis déconcertée : devant qui suis-je ? Devant quoi suis-je ? »

Que se passe-t-il dans cette chambre ?

 

« Avec tous les êtres dans tous l’espace, nos mères, nous prions le lama, corps de grande félicité, perfection des qualités éveillées, sambhogakaya »*

 

Je la regarde. Je la touche. Je la respire. Encore et encore chercher le réconfort, reporter l’échéance ultime. Une répétition comme une consolation. Recommencer à nourrir les sensations de peur de les perdre. Ne pas cesser de ressentir exactement de cette manière-là.

La douceur douloureuse. Serait-ce donc cela, le miel sur le fil du rasoir ?

Je l’enveloppe du regard. Souffre-t-elle ?

J’apaise mon souffle. A-t-elle peur ?

Je prends refuge. Sait-elle que quelqu’un est près d’elle ?

Je récite des mani. Que se passe-t-il dans son esprit ?

 

« Avec tous les êtres dans tous l’espace, nos mères, nous prions le lama, corps d’émanation de la compassion éveillée »*

 

Ce serait une chambre d’hôpital.

Un seul lit.

Sur une table, prés de la fenêtre, seraient posés des orchidées jaunes, la photo sépia d’un jeune couple, un chapelet de bois de rose, une statuette de la vierge Marie, un lecteur CD dont s’échappe un concerto pour violon.

Dans le lit, recouverte de son dernier drap blanc, une vieille dame aux yeux fermés, au souffle suspendu.

Près du lit, le front posé sur ce corps en partance, une femme murmure tendrement « Je vous salue Marie pleine de grâce… »

Ce serait un mois de décembre entre le jour et la nuit.

Ce serait un dimanche.

Ce serait un jour comme un autre pour cesser de respirer.

 

amala

 

* Prière issue de la Sadhana du Grand Djétsun répa

 

Véronique Durand

 

Et si l’esprit n’était pas limité au cerveau ?

Cet article est issu de Buddha Weekly, un magasine en ligne (en anglais) qui explore les informations, les thèmes et les commentaires sur le bouddhisme partout dans le monde. Il est mené par Lee Kane qui nous a autorisé à publier la traduction française d’un article sur l’esprit (par contre les liens qui envoient à d’autres articles ou sites sont en anglais)

Nous publions cet article car il ouvre une réflexion sur l’esprit  dont les conclusions permettent de clarifier le sens de la méditation et rendent pertinent certains aspects du bouddhisme qui apparaissent comme des croyances (le karma et la réincarnation per exemple). 

L’idée de cette publication est d’ouvrir une champ de réflexion et, peut-être, de mieux comprendre l’enseignement du Bouddha. 

Comment l’esprit est-il différent du cerveau ?
Il se pourrait que la science soutienne la thèse d’un esprit et un cerveau distincts

« Nous ne savons pas ce qu’est la conscience ou ce qu’elle fait » dit le Docteur Rupert Sheldrake, dans sa conférence L’esprit n’est pas le cerveau. « Il n’y a aucune raison connue, évidente du pourquoi nous devrions être conscients de quoi que ce soit, ou comment l’esprit fonctionne réellement. » Sa conclusion, basée sur des recherches significatives, fut : « … L’esprit est comme un espace. C’est-à-dire qu’il n’est pas limité à l’intérieur de la tête. »

Il y a une acceptation scientifique grandissante en faveur de la thèse de Monsieur Sheldrake, qu’il exposa en partie dans sa conférence. En fait, la science de la conscience est un des domaines les plus passionnants de la science aujourd’hui.

Le Professeur Eccles, prix Nobel en neurosciences, soutient la théorie selon laquelle l’esprit est une entité à part et ne peut être « réduit au seul fonctionnement d’une cellule cérébrale, » selon la Fondation : Horizon Research Foundation.

Un article sur le site de la Fondation affirme « nous ne serons jamais capables d’expliquer la création de la conscience au travers des fonctionnements électrique et chimique du cerveau. » Pour les sceptiques, il est important de réaliser que tous les articles sur le site web de la Fondation sont analysés ou préparés par des scientifiques directement impliqués dans la recherche.

Les Professeurs Karl Popper et John Eccles ont démontré que les recherches indiquent qu’un évènement conscient se produit avant l’évènement cérébral concerné, dans Le soi et son cerveau. Ces éminents scientifiques ont élaboré une théorie qui montre non seulement les évènements mentaux et conscients comme distincts du cerveau, mais aussi un esprit conscient distinct des deux.

La conscience continue-t-elle après la mort ?

Un article bien documenté, Approches vers la résolution du mystère de la conscience souligne la notion de conscience survivant à l’évidente mort cérébrale. « La conscience semble être présente chez 10-20 pour 100 de ceux qui sont en arrêt cardiaque. » L’auteur explique, « les cellules cérébrales ont besoin de communiquer en utilisant des pulsations électriques… Comment se fait-il alors que nous ayons un scénario clinique dans lequel il y a un sévère dysfonctionnement cérébral, le pire possible, et une absence d’activité électrique dans le cerveau, mais, en même temps, d’une certaine manière, un processus de pensée avec raisonnement, création de mémoire et conscience qui continue et est même intensifié ?

D’un point de vue bouddhiste, la dualité de l’esprit et du cerveau a été admise dès le début et, à certains égards, semble un soutien crucial pour les croyances essentielles bouddhistes, celles de la renaissance et du karma.

« Il y a de nombreuses explications à ce qu’est l’esprit et aux différentes sortes d’esprit, » dit Sa Sainteté le Dalaï Lama dans un discours en Angleterre en 2008. « Par exemple, il y a une différence dans le Bouddhisme entre les esprits primaires et les facteurs mentaux. » Sa Sainteté explique les deux catégories : « L’une est produite par la perception sensorielle qui est la condition qui la génère et l’autre est dépourvue de perception sensorielle qui est la condition qui la génère. »

Jusqu’à il y a peu, ces croyances ont été considérées comme essence de la foi, soutenues par autorité du Bouddha, et défendues avec éloquence dans le débat sur le Dharma [bouddhisme ndlr]. Un nombre croissant de scientifiques spécialisés dans la science de la conscience y apporte son soutien. Il se peut qu’une recherche prometteuse nous permette également d’ancrer le concept que nous avons de l’esprit, avec des preuves convaincantes.

Le Docteur Alexander Berzin, dans son discours La nature conventionnelle de l’esprit, décrivit cela de cette façon : « Vous pouvez décrire l’évènement d’après ce qui se passe physiquement – il y a le cerveau et l’histoire du chimique et de l’électrique – ou vous pouvez juste le décrire en termes d’expérience subjective. Donc nous parlons de l’expérience subjective lorsque nous parlons de l’esprit. » Il continua en expliquant que les quatre nobles vérités sont expérimentées par l’esprit.

Où est l’esprit ?

Monsieur Sheldrake, dans son discours L’esprit n’est pas le cerveau, est le premier à effleurer l’important débat « mais où est l’esprit ? » Il décrit l’esprit ressemblant à un espace, semblable au champ gravitationnel du monde, « qui s’étend bien au-delà de la terre. »

Ces espaces sont à l’intérieur et autour des systèmes qu’ils organisent, dit-il, renvoyant à des exemples tels que les aimants et la gravité qui s’étendent au-delà. « Et je pense que c’est également vrai pour nos esprits. »

« Si l’esprit est simplement le cerveau, ce qui est l’hypothèse normale dans les mondes universitaire et médical, » continue- t-il, « alors l’activité mentale n’est rien d’autre que l’activité cérébrale, » une notion qu’il déconstruisit alors avec minutie comme étant erronée. Il utilise un exemple élaboré du mécanisme de la vision, de la vue, décrivant en premier les mécanismes physiologiques et neurologiques, et démontrant ensuite les deux options claires qui expliquent comment nous « voyons » vraiment. Soit les images sont projetées à l’intérieur de notre crâne ou de notre cerveau sous la forme d’une « réalité virtuelle », soit elles sont exactement comme elles apparaissent, parce que l’esprit est capable de projeter ou voir au-delà du cerveau.

Il illustre ceci en posant la question, « Pouvez-vous influencer quelque chose rien qu’en le regardant ? » Il cite des recherches qui indiquent qu’environ 90 pour 100 des gens peuvent « sentir » que des personnes les regardent, même quand elles leur tournent le dos. Dans les recherches scientifiques, il y a des preuves  écrasantes qu’il s’agit bien d’un phénomène authentique. Il illustre avec des exemples de formation dans l’industrie de la sécurité, où il est commun de former le personnel de sécurité à ne jamais regarder directement le dos d’un suspect.

Le Dalaï Lama exposa la nature de l’esprit lors d’un discours en 2014 à Cambridge : « En général, l’esprit peut être défini comme une entité qui a la nature de la simple expérience, c’est-à-dire, “ clarté et connaissance.“ C’est la nature connaissante, ou organisation, qui est appelée esprit, et ceci n’est pas physique. »

« La littérature bouddhiste, les soutras comme les tantras, est remplie de débats approfondis sur l’esprit et sa nature. Les tantras, en particulier, traitent des divers niveaux de subtilité de l’esprit et de la conscience… avec mention des diverses subtilités des niveaux de conscience et leur relation aux états physiologiques tels que les centres d’énergie vitale dans le corps, les canaux énergétiques, les énergies qui circulent en ceux-ci et ainsi de suite. »

La théorie de l’esprit espace

Le concept des canaux énergétiques et du corps énergétique – tel que décrit par Sa Sainteté – a été bien admis depuis des siècles dans la majorité des pays  asiatiques. Dans la visualisation bouddhiste, dans certaines pratiques, esprit et énergie sont visualisés de manière naturelle comme étant séparés du corps. Ceci rejoint la science nouvellement émergente dans le domaine de la recherche sur la conscience.

S’alignant sur cette pensée ancienne, le Docteur Sheldrake – pionnier dans la théorie de la conscience-espace – explique l’esprit comme un espace semblable au champ de gravité. Il soutient cela avec des recherches approfondies, et illustre par des exemples tels que les vols d’oiseaux et les bancs de poissons, qui semblent presque communiquer par télépathie. Il fouille également dans les théories sur la particule quantique en soutien de sa propre théorie.

Pourquoi ceci est-il important ?

Le cerveau, en termes relatifs dualistes, est un outil physique, impermanent. L’esprit n’est pas impermanent. Ceci est mis en évidence de manière plausible par les recherches des Professeurs Popper et Eccles qui décrivent « Un esprit conscient » indépendant du cerveau, qui fonctionne même après l’arrêt cardiaque.

Un esprit conscient, survivant à l’arrêt cardiaque, est rassurant pour ceux d’entre nous qui croient que l’esprit survit à la mort. Bien que la renaissance soit soutenue par diverses autres recherches et études sur la mort imminente, la notion d’esprit conscient survivant à la mort physique ajoute une dimension nouvelle à la méditation sur la mort et à la pratique quotidienne.

Lee Kane

Merci à Marie_Charles Ferré pour sa traduction

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