Détente, vigilance et mouvement

Méditation et processus cognitifs

Méditer dans la tradition bouddhiste peut être défini comme changer de mode de connaissance. A partir d’un mode de connaissance conceptuel, efficace mais limité, il s’agit de s’ouvrir progressivement à un mode de connaissance ou de perception plus immédiat, plus direct et plus vaste. C’est une façon de décrire la méditation.

De quel mode de connaissance s’agit-il ? Observons nos processus cognitifs :

  • A partir de notre corps, nous éprouvons des sensations qui nous permettent de récolter des données sur notre environnement et sur nous mêmes – je vois une forme qui bouge.
  • Ces données sensorielles, grâce aux représentations mentales, deviennent informations – cette forme est une souris. Sur base de nos expériences passées, nous pouvons identifier la forme vue, le son entendu, etc. A ce stade, ce que nous éprouvons est déjà perçu comme agréable ou désagréable et nous nous positionnons déjà face à ce que nous percevons en termes de « j’aime » ou « je n’aime pas » (souvent à notre insu).
  • Nous traitons ensuite les informations identifiées selon nos habitudes émotionnelles, l’expérience devient alors complètement subjective – ou j’aime les souris et je souris ou j’en ai peur et je sursaute, par exemple.
  • Finalement, la conscience prend l’ensemble de ce processus pour la réalité.

Il reste un paradoxe : alors que ce processus cognitif nous permet de connaître le monde dans lequel nous évoluons, dans le même temps, il nous en éloigne. Nous ne percevons du monde que notre représentation mentale et émotionnelle. Il y a dans ce fonctionnement une efficacité et une intelligence mais qui n’en restent pas moins limitées et subjectives. (Les découvertes en neurosciences expliquent cela de façon  précises et détaillées).

Et la méditation ? Elle nous permet de prendre conscience de ce mode de connaissance afin de le pacifier dans le but de « connaître autrement ». Guendun Rinpoché dans son ouvrage Mahamoudra explique le processus méditatif : « Quelles que soient les pensées ou les expériences qui surgissent, nous les laissons simplement passer, apparaître et disparaître, sans chercher à les maintenir ni à les supprimer. Ce lâcher prise est l’attitude même de la méditation. (…) Mais il faut veiller à ne pas tomber dans le travers qui consiste à croire que le but de la méditation est de parachever un état totalement libre de toute activité mentale, où il ne se passe absolument plus rien. (…) Méditer consiste à laisser l’esprit faire l’apprentissage du lâcher prise, pour qu’il se libère de toutes les restrictions qui l’emprisonnent. » Il s’agit bien de changer notre façon de connaître les choses en posant un regard neuf sur nos fonctionnements.

La tradition donne la métaphore d’un enfant qui, pour la première fois, découvre un temple coloré et ornementé  : il entre et marche doucement, ne dit rien, il regarde, dans la nouveauté et l’étonnement. Il n’en pense rien, il accueille. Méditer c’est accueillir les mouvements de l’esprit comme cet enfant qui rentre dans le temple : il ne s’agit pas de chercher quelque chose de nouveau mais de poser à chaque fois un regard neuf sur ce qui se passe. C’est ainsi que la méditation nous permet d’accueillir ce qui s’élève pour le laisser se dissiper. C’est un entrainement.

Alors que nous sommes prêt à nous entraîner dans ce sens, une distraction nous accompagne, souvent à notre insu : l’idée que l’on a de ce que devrait être la méditation. Nous ne sommes pas disponible à ce qui s’élève en nous, nous anticipons ce qui devrait se passer ou ne pas se passer. L’esprit est subtilement focalisé sur ce qu’il pense qui devrait advenir et rate ce qui se produit. Nous n’accueillons pas ce qui s’élève dans l’esprit (sensation, pensées, émotions, etc.), nous essayons de valider notre représentation de la méditation. De ce fait, certains états d’esprit nous conviennent et d’autres non, nous tentons de cultiver ce qui nous satisfait et d’éliminer ce qui ne correspond pas à ce que nous jugeons être un état méditatif. Autrement dit, nous ne changeons en rien notre mode de connaissance.

Détente, vigilance et mouvement

On ne peut forcer cette dimension de fraicheur et de nouveauté de la méditation, on ne peut fabriquer un état d’esprit méditatif, il s’agit de rassembler les conditions qui nous permettent de poser un regard intérieur. Voilà trois aspects à cultiver qui nous aident à dépasser la distraction : la détente, la vigilance et le rapport au mouvement.

1. La détente

Il ne s’agit pas ici d’une détente distraite comme lorsque l’on regarde un moment la télé pour se relaxer ou que “l’on pense à autre chose“ pour se délasser. Il s’agit plutôt d’une détente qui se défait des préoccupations. Une détente qui rend disponible : elle est physique, nous relâchons les muscles, les lieux de tension, les crispations ; elle est aussi psychique, nous laissons de côté les inquiétudes et les soucis. Nous pouvons nous l’autoriser le temps de la méditation (pas de craintes, nous les retrouverons après la session). Méditer suppose d’être présent à ce qui s’élève en nous ; tant que nous nous laissons inquiéter par ce qui nous préoccupe, nous manquons de la disponibilité nécessaire pour laisser les mouvements de l’esprit se déployer librement. Tant que je pense à mon collègue qui ne fait pas son boulot, je ne peux accueillir les sensations qui me traversent, tant que je rumine mes échecs et réussites, je ne peux être conscient des pensées qui se déploient, tant que que j’anticipe mes rencontres de la semaine prochaine, je ne peux ressentir les émotions qui s’élèvent. Détente donc ! Comme en fin de journée : tout est accompli, la vaisselle est faite, les enfants sont couchés, je m’assois dans le fauteuil, une grande respiration, je suis disponible. Il s’agit de cultiver une habileté à se détendre qui se développera avec l’entrainement car elle est une des qualités naturelles de l’esprit.

2. L’attention et la vigilance

Pleine conscience, rappel, attention, vigilance, clarté, présence, etc., autant de termes qui pointent la même réalité. Être présent durant la méditation suppose de cultiver deux  états d’esprit : l’attention et la vigilance.

L’attention : C’est la mémoire de ce que l’on est sensé pratiquer, c’est le contraire de l’oubli et implique une connaissance de ce qui est à accomplir et à éviter. Dans la méditation, il s’agit par exemple de se rappeler de ne pas suivre les mouvements de l’esprit car ils sont fugaces, ou dès que nous prenons conscience de la distraction, de revenir avec une douce rigueur au support.

La vigilance : C’est le fait d’être conscient de sa situation au niveau du corps et de l’esprit ; conscient de ses pensées, de sa posture physique, de ce que l’on est en train de faire ou sur le point de faire. C’est être attentif, naturellement aux aguets. Dans la méditation, c’est être présent à ce qui est ressenti sans en faire quoi que ce soit, c’est une qualité de conscience, la capacité qu’a l’esprit à être là. Plus nous développons l’attention, plus la vigilance prend place.

Pour méditer, il nous faut combiner les deux aspects : vigilance et détente. C’est ainsi que l’on peut accueillir l’esprit tel qu’il est sans prolonger ce qui se passe, sans chercher autre chose, sans fabriquer un état artificiel.  Cela nous permet d’être présent à l’état de l’esprit de maintenant, tel qu’il se manifeste, et de le laisser se dissoudre.

Cela demande des réajustements. Le Bouddha compare l’esprit du méditant à une corde de vina ou de guitare : trop tendue, elle casse, trop lâche elle ne donne pas le bon son. Parfois il nous faut relâcher la tension, la volonté, parfois il nous faut revenir avec plus de rigueur au support de la méditation et parfois l’accord est bon, il n’y a rien d’autre à faire qu’à être là, détendu et vigilant.

3. L’agréable et le désagréable

La pratique méditative est sensée nous apporter calme et détente, clarté et bien-être. Aussi, allons-nous, sans en être nécessairement conscient, chercher ces qualités dans notre pratique. Une idée nous imprègne : il s’agit d’être bien. Comme nous l’avons dit plus haut, nous anticipons ce qui devrait se passer. Mais ce faisant, nous rejouons le même scénario qu’au quotidien : attirant d’un côté ce qui est agréable et nous confirme, rejetant de l’autre ce qui est désagréable et nous confronte. Nous continuons à identifier le bien-être au bonheur et le désagréable à la souffrance. La méditation devient alors une nouvelle manipulation de ce que nous éprouvons, recherchant sans fin ce qui nous convient, une forme de « cocoon méditation » où rien ne viendrait nous perturber.  Cela peut momentanément fonctionner mais nous installons par là-même les conditions de l’agitation et ratons, du coup, le rendez vous avec l’esprit tel qu’il se présente à nous.

La méditation nous fait rencontrer une myriade d’états d’esprit différents, tantôt agréables et tantôt désagréables. Le propos n’est pas de les juger ou de les organiser mais de les lâcher. Moins nous nous identifions à ce que nous éprouvons plus l’expérience sera fugace. Comme le dit Guendun Rinpoché : « Nous les laissons simplement passer, apparaître et disparaître, sans chercher à les maintenir ni à les supprimer. ». C’est alors qu’un autre mode de connaissance peut prendre place, nous laissons sa chance à l’esprit de connaître et de se connaître autrement, au travers des sensations, des concepts et des émotions. La clarté peut se déployer.

Ainsi, combinant détente, vigilance et lâcher-prise, la méditation peut prendre place. Pour ce faire, d’autres aspects de la méthode sont nécessaires (la préparation, la motivation, la position, le support, etc.), mais l’on ne peut tout dire à la fois.

Puntso

Merci à Thinley Tulku pour ses instructions sur l’attention et la vigilance.

Les extraits d’enseignement de Guendun Rinpoché sont issu de son ouvrage « Mahamoudra », actuellement épuisé – en cours de réédition aux édition Dzambala

Pour approfondir, deux courts enseignements de Jigmé Rinpoché : Détente et clarté  et Le sens de la méditation

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7 Commentaires

  1. Annick Etcheberry

     /  18 avril 2014

    Votre aide est particulièrement bienvenue dans une période où je ne peux plus beaucoup me déplacer ; Merci de tout cœur.

    Réponse
    • Dhagpo Bordeaux

       /  18 avril 2014

      Pour cette seule raison, je me réjouis de l’existence de ce blog

      Réponse
  2. Michel

     /  19 avril 2014

    Blog destiné à nous aider … à voir et à comprendre…
    Manquons-nous de quelque chose ? Sommes-nous séparés ?
    Il est certainement réjouissant grâce à ce blog, de répondre non …. à chaque Instant.

    Réponse
  3. « Pour ce faire, d’autres aspects de la méthode sont nécessaires (la préparation, la motivation, la position, le support, etc.), mais l’on ne peut tout dire à la fois. »
    Bien sûr ! Ne nous éparpillons pas. Déjà ces trois aspects développés ici sont tellement essentiels ! Voilà un bon rappel dense et clair d’enseignements à pratiquer en combinaison… Merci… et la suite, pas à pas, assurément viendra…

    Réponse
  4. HELP !!!
    Formulé ainsi, j’ai du mal à saisir alors la différence qui est faite entre attention et vigilence.
    Je remettais l’attention à une personne ou situation extérieur (en dehors de moi, vue de l’extérieur, regard posé vers autrui) alors que je place la vigilence à l’intérieur, vis à vis de moi-même et de ce qui se joue en moi à un certain moment etc…

    Réponse
    • Dhagpo Bordeaux

       /  30 juin 2014

      Pascale (désolé d’avoir tant tardé à te répondre), l’attention est mémoire, elle est le rappel de ce qui est à mettre en oeuvre pour plus de conscience, plus de présence. Et la vigilance est le fait d’être là, de garder la qualité de présence. Les deux (attention et vigilance) sont donc intérieurs et permettent une relation plus consciente avec l’extérieur. Ta version de l’attention et de la vigilance est donc différente de ce qui est expliqué dans l’article. Le questionnement est toujours le même : que lettons nous derrière les mots…

      Réponse
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