Dignité et sentiment de dignité

Concernant la fin de vie et la question de l’euthanasie, c’est bien souvent au nom de la dignité, que nombre de personnes réclament le droit à l’euthanasie. Cependant, il semble important de questionner notre représentation de la dignité. Les risques sous-jacents d’une telle légalisation, et qui ne sont pas toujours perçus d’ailleurs, sont en lien avec ce questionnement qui amènerait à définir qui a le droit de vivre ou non, ce qui serait, pour le moins, profondément déraisonnable.

Parce que, tout de même, il est important de se poser cette question : y aurait-il donc un moment nous ne serions plus dignes de vivre ? Seul notre rapport à la dignité de l’être, qui prend en compte la difficulté à assumer les souffrances inhérentes à la maladie et à la vieillesse, peut apporter un regard bienveillant et compatissant pour mieux soutenir et accompagner la mise en œuvre des soins nécessaires.

Suis-je, sommes-nous, en capacité de répondre aux besoins des personnes en grande fragilité face à leur fin de vie ?

Il semble important de questionner notre façon d’accompagner, notre capacité à être présent face à la souffrance, à la vulnérabilité des personnes en fin de vie. La question de l’éthique est une question très concrète. Que faisons-nous, que nous devrions-nous faire, pour améliorer les conditions de fin de vie des personnes en réanimation, en stade terminal d’une pathologie et les fins de vie des personnes âgées, qui, bien trop souvent encore, finissent leurs jours aux urgences, faute d’une prise en charge adaptée dans leur structure de vie.

Aborder ces questionnements nous ramène à notre finitude, à notre vulnérabilité. Ce face à face avec notre réalité est loin d’être confortable. Pourtant, c’est la condition première pour rencontrer l’autre. C’est à partir du moment où nous avons conscience de nos propres fragilités et que nous sommes à même de les accepter, que nous pouvons nous ouvrir à l’autre.

La dignité fondamentale

Explorons un peu cette question de dignité qui semble fondamentale dans le cadre de la réflexion sur l’éthique et la fin de vie. Je pense qu’à propos de la vision de l’individu, quelle que soit la culture, la religion, la spiritualité, chacun considère l’être vivant comme un être fondamentalement digne. En essence, et c’est une évidence, l’être humain est digne.

Si l’on se réfère à la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article premier précise : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». 

Le christianisme reconnait le concept de « personne », avec la dignité inaliénable qui s’y rattache. Les Saintes Ecritures rappellent que « parce qu’il a été créé à l’image de Dieu, l’individu humain a la dignité de personne : il n’est pas seulement quelque chose mais quelqu’un… » (Site du Vatican – Catéchisme de l’église catholique, n.357)

Le bouddhisme aborde la dignité du point de vue spirituel en parlant de dignité fondamentale, c’est-à-dire le potentiel de sagesse inhérent à chaque être. Notre fonctionnement basé sur des représentations, sur une identification émotionnelle à nos ressentis, nos concepts, nos peurs, etc., nous empêche d’exprimer pleinement ce potentiel.

Mais ne pas percevoir cette dignité fondamentale n’enlève rien à sa présence, ce qui nous fait dire que, jusqu’aux derniers instants de la vie, l’être vivant est un vivant à part entière (et même après, mais c’est une autre question…). Cette vision de l’humain fait de la voie bouddhiste un chemin de dévoilement.

Sans entrer dans le détail des différentes visions de l’individu selon les différentes cultures et traditions religieuses, s’il est un point commun, c’est la reconnaissance la dignité de la personne, de l’être humain, qui n’est jamais remise en cause. Il s’agit là d’une valeur intrinsèque qui commande le respect d’autrui.

Le sentiment de dignité

Si la dignité fondamentale de l’être humain ne peut être remise en cause, le sentiment de dignité peut sembler être perdu dans certaines circonstances difficiles. La perte du sentiment de dignité est en fait plus en lien avec ce qui n’est plus, ce que nous n’avons plus, et qui constituait ce que nous nommons être « notre dignité ».

L’autonomie, par exemple, est, dans notre société, associée à la maîtrise de soi et donc au pouvoir sur notre propre vie. La perte de l’autonomie peut donc être vécue comme une dépendance à l’autre. Ce qui, globalement, est refusé par la plupart d’entre nous.

Notre mode de connaissance, à la fois basé sur l’intelligence et le discernement, mais limité par notre vision émotionnelle des situations, nous amène inévitablement à vouloir préserver tout ce que nous identifions comme participant à notre bonheur. Et l’autonomie est ressentie comme un facteur important.

Pourtant, nous sommes prêts à aider, à soutenir, les personnes en difficulté, mais la plupart d’entre nous refuse ou accepte avec beaucoup de réticence d’être aidé, épaulé, lorsque le besoin s’en fait sentir à cause de l’âge, la dépendance ou la maladie. C’est souvent vécu comme humiliant, alors que lorsque nous sommes en situation d’aide, c’est avec respect de la dignité de la personne que nous intervenons. Paradoxal, non ?

Où en suis-je de mon rapport à ma vulnérabilité ? Suis-je prêt à accepter les contraintes liées à la maladie, à la fin de vie ?

La perte du sentiment de dignité nous amène à nous considérer plus comme objet que sujet. Pourtant, quel que soit notre état physique ou mental, nous restons et sommes fondamentalement dignes.

Pour synthétiser cette idée, nous confondons, dans notre souffrance, le fait d’être digne, ce qui est notre réalité intrinsèque, inaliénable, et le fait d’avoir perdu certains acquis qui, à nos yeux, constituent une atteinte à notre sentiment de dignité.

C’est le regard de l’autre qui conditionne notre dignité

La perte du sentiment de dignité est bien sûr une affaire personnelle. Cependant, le regard que porte l’entourage à notre situation, va venir accentuer, aggraver peut-être, ou diminuer ce sentiment de perte. Autrement dit, le regard que nous portons sur les personnes dépendantes, sur leur vulnérabilité, peut ou non, restaurer ce sentiment de dignité perdu.

C’est l’image qu’on se fait de la vieillesse et de la perte d’autonomie qui conditionne les choix et non la crainte réelle de la fin de vie elle-même. Il s’agit d’une vision déshumanisée de l’être humain qui considère que lorsque l’on devient dépendant physiquement ou psychiquement sa dignité est perdue. Or la dignité est le propre de l’homme et ne disparaît jamais. Par contre, elle doit être respectée et protégée par ceux qui entourent la personne dépendante ou en fin de vie. C’est ce regard extérieur qui va conditionner la qualité de cette dignité. Le meilleur moyen de mourir dans la dignité est donc de changer le regard de notre société sur toutes les dépendances, y compris celle de la fin de vie. (Dr Christophe Trivalle)

Le regard que nous portons sur les personnes en fin de vie a bien sûr un impact fort, mais le soulagement de la douleur, la prise en compte de la souffrance psychique, la qualité de l’accompagnement que nous leur proposons, constituent en soi la manifestation du respect que nous devons à chacun, quels que soient son apparence, ses troubles, sa difficulté à faire face à la situation.

Trinlé

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Détente, vigilance et mouvement

Méditation et processus cognitifs

Méditer dans la tradition bouddhiste peut être défini comme changer de mode de connaissance. A partir d’un mode de connaissance conceptuel, efficace mais limité, il s’agit de s’ouvrir progressivement à un mode de connaissance ou de perception plus immédiat, plus direct et plus vaste. C’est une façon de décrire la méditation.

De quel mode de connaissance s’agit-il ? Observons nos processus cognitifs :

  • A partir de notre corps, nous éprouvons des sensations qui nous permettent de récolter des données sur notre environnement et sur nous mêmes – je vois une forme qui bouge.
  • Ces données sensorielles, grâce aux représentations mentales, deviennent informations – cette forme est une souris. Sur base de nos expériences passées, nous pouvons identifier la forme vue, le son entendu, etc. A ce stade, ce que nous éprouvons est déjà perçu comme agréable ou désagréable et nous nous positionnons déjà face à ce que nous percevons en termes de « j’aime » ou « je n’aime pas » (souvent à notre insu).
  • Nous traitons ensuite les informations identifiées selon nos habitudes émotionnelles, l’expérience devient alors complètement subjective – ou j’aime les souris et je souris ou j’en ai peur et je sursaute, par exemple.
  • Finalement, la conscience prend l’ensemble de ce processus pour la réalité.

Il reste un paradoxe : alors que ce processus cognitif nous permet de connaître le monde dans lequel nous évoluons, dans le même temps, il nous en éloigne. Nous ne percevons du monde que notre représentation mentale et émotionnelle. Il y a dans ce fonctionnement une efficacité et une intelligence mais qui n’en restent pas moins limitées et subjectives. (Les découvertes en neurosciences expliquent cela de façon  précises et détaillées).

Et la méditation ? Elle nous permet de prendre conscience de ce mode de connaissance afin de le pacifier dans le but de « connaître autrement ». Guendun Rinpoché dans son ouvrage Mahamoudra explique le processus méditatif : « Quelles que soient les pensées ou les expériences qui surgissent, nous les laissons simplement passer, apparaître et disparaître, sans chercher à les maintenir ni à les supprimer. Ce lâcher prise est l’attitude même de la méditation. (…) Mais il faut veiller à ne pas tomber dans le travers qui consiste à croire que le but de la méditation est de parachever un état totalement libre de toute activité mentale, où il ne se passe absolument plus rien. (…) Méditer consiste à laisser l’esprit faire l’apprentissage du lâcher prise, pour qu’il se libère de toutes les restrictions qui l’emprisonnent. » Il s’agit bien de changer notre façon de connaître les choses en posant un regard neuf sur nos fonctionnements.

La tradition donne la métaphore d’un enfant qui, pour la première fois, découvre un temple coloré et ornementé  : il entre et marche doucement, ne dit rien, il regarde, dans la nouveauté et l’étonnement. Il n’en pense rien, il accueille. Méditer c’est accueillir les mouvements de l’esprit comme cet enfant qui rentre dans le temple : il ne s’agit pas de chercher quelque chose de nouveau mais de poser à chaque fois un regard neuf sur ce qui se passe. C’est ainsi que la méditation nous permet d’accueillir ce qui s’élève pour le laisser se dissiper. C’est un entrainement.

Alors que nous sommes prêt à nous entraîner dans ce sens, une distraction nous accompagne, souvent à notre insu : l’idée que l’on a de ce que devrait être la méditation. Nous ne sommes pas disponible à ce qui s’élève en nous, nous anticipons ce qui devrait se passer ou ne pas se passer. L’esprit est subtilement focalisé sur ce qu’il pense qui devrait advenir et rate ce qui se produit. Nous n’accueillons pas ce qui s’élève dans l’esprit (sensation, pensées, émotions, etc.), nous essayons de valider notre représentation de la méditation. De ce fait, certains états d’esprit nous conviennent et d’autres non, nous tentons de cultiver ce qui nous satisfait et d’éliminer ce qui ne correspond pas à ce que nous jugeons être un état méditatif. Autrement dit, nous ne changeons en rien notre mode de connaissance.

Détente, vigilance et mouvement

On ne peut forcer cette dimension de fraicheur et de nouveauté de la méditation, on ne peut fabriquer un état d’esprit méditatif, il s’agit de rassembler les conditions qui nous permettent de poser un regard intérieur. Voilà trois aspects à cultiver qui nous aident à dépasser la distraction : la détente, la vigilance et le rapport au mouvement.

1. La détente

Il ne s’agit pas ici d’une détente distraite comme lorsque l’on regarde un moment la télé pour se relaxer ou que “l’on pense à autre chose“ pour se délasser. Il s’agit plutôt d’une détente qui se défait des préoccupations. Une détente qui rend disponible : elle est physique, nous relâchons les muscles, les lieux de tension, les crispations ; elle est aussi psychique, nous laissons de côté les inquiétudes et les soucis. Nous pouvons nous l’autoriser le temps de la méditation (pas de craintes, nous les retrouverons après la session). Méditer suppose d’être présent à ce qui s’élève en nous ; tant que nous nous laissons inquiéter par ce qui nous préoccupe, nous manquons de la disponibilité nécessaire pour laisser les mouvements de l’esprit se déployer librement. Tant que je pense à mon collègue qui ne fait pas son boulot, je ne peux accueillir les sensations qui me traversent, tant que je rumine mes échecs et réussites, je ne peux être conscient des pensées qui se déploient, tant que que j’anticipe mes rencontres de la semaine prochaine, je ne peux ressentir les émotions qui s’élèvent. Détente donc ! Comme en fin de journée : tout est accompli, la vaisselle est faite, les enfants sont couchés, je m’assois dans le fauteuil, une grande respiration, je suis disponible. Il s’agit de cultiver une habileté à se détendre qui se développera avec l’entrainement car elle est une des qualités naturelles de l’esprit.

2. L’attention et la vigilance

Pleine conscience, rappel, attention, vigilance, clarté, présence, etc., autant de termes qui pointent la même réalité. Être présent durant la méditation suppose de cultiver deux  états d’esprit : l’attention et la vigilance.

L’attention : C’est la mémoire de ce que l’on est sensé pratiquer, c’est le contraire de l’oubli et implique une connaissance de ce qui est à accomplir et à éviter. Dans la méditation, il s’agit par exemple de se rappeler de ne pas suivre les mouvements de l’esprit car ils sont fugaces, ou dès que nous prenons conscience de la distraction, de revenir avec une douce rigueur au support.

La vigilance : C’est le fait d’être conscient de sa situation au niveau du corps et de l’esprit ; conscient de ses pensées, de sa posture physique, de ce que l’on est en train de faire ou sur le point de faire. C’est être attentif, naturellement aux aguets. Dans la méditation, c’est être présent à ce qui est ressenti sans en faire quoi que ce soit, c’est une qualité de conscience, la capacité qu’a l’esprit à être là. Plus nous développons l’attention, plus la vigilance prend place.

Pour méditer, il nous faut combiner les deux aspects : vigilance et détente. C’est ainsi que l’on peut accueillir l’esprit tel qu’il est sans prolonger ce qui se passe, sans chercher autre chose, sans fabriquer un état artificiel.  Cela nous permet d’être présent à l’état de l’esprit de maintenant, tel qu’il se manifeste, et de le laisser se dissoudre.

Cela demande des réajustements. Le Bouddha compare l’esprit du méditant à une corde de vina ou de guitare : trop tendue, elle casse, trop lâche elle ne donne pas le bon son. Parfois il nous faut relâcher la tension, la volonté, parfois il nous faut revenir avec plus de rigueur au support de la méditation et parfois l’accord est bon, il n’y a rien d’autre à faire qu’à être là, détendu et vigilant.

3. L’agréable et le désagréable

La pratique méditative est sensée nous apporter calme et détente, clarté et bien-être. Aussi, allons-nous, sans en être nécessairement conscient, chercher ces qualités dans notre pratique. Une idée nous imprègne : il s’agit d’être bien. Comme nous l’avons dit plus haut, nous anticipons ce qui devrait se passer. Mais ce faisant, nous rejouons le même scénario qu’au quotidien : attirant d’un côté ce qui est agréable et nous confirme, rejetant de l’autre ce qui est désagréable et nous confronte. Nous continuons à identifier le bien-être au bonheur et le désagréable à la souffrance. La méditation devient alors une nouvelle manipulation de ce que nous éprouvons, recherchant sans fin ce qui nous convient, une forme de « cocoon méditation » où rien ne viendrait nous perturber.  Cela peut momentanément fonctionner mais nous installons par là-même les conditions de l’agitation et ratons, du coup, le rendez vous avec l’esprit tel qu’il se présente à nous.

La méditation nous fait rencontrer une myriade d’états d’esprit différents, tantôt agréables et tantôt désagréables. Le propos n’est pas de les juger ou de les organiser mais de les lâcher. Moins nous nous identifions à ce que nous éprouvons plus l’expérience sera fugace. Comme le dit Guendun Rinpoché : « Nous les laissons simplement passer, apparaître et disparaître, sans chercher à les maintenir ni à les supprimer. ». C’est alors qu’un autre mode de connaissance peut prendre place, nous laissons sa chance à l’esprit de connaître et de se connaître autrement, au travers des sensations, des concepts et des émotions. La clarté peut se déployer.

Ainsi, combinant détente, vigilance et lâcher-prise, la méditation peut prendre place. Pour ce faire, d’autres aspects de la méthode sont nécessaires (la préparation, la motivation, la position, le support, etc.), mais l’on ne peut tout dire à la fois.

Puntso

Merci à Thinley Tulku pour ses instructions sur l’attention et la vigilance.

Les extraits d’enseignement de Guendun Rinpoché sont issu de son ouvrage « Mahamoudra », actuellement épuisé – en cours de réédition aux édition Dzambala

Pour approfondir, deux courts enseignements de Jigmé Rinpoché : Détente et clarté  et Le sens de la méditation

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La réjouissance

Une vie sans souffrance, sans insatisfaction demeure une illusion. Notre fonctionnement centré sur nous-même nous amène, de fait, à attirer à nous ce qui nous convient et à écarter ce qui nous dérange. Cette continuelle recherche de plaisirs monopolise notre esprit et nous pousse à réagir essentiellement sur base des émotions perturbatrices. Je veux, je ne veux pas, j’ai envie, je rejette, etc.

Sans cesse en mouvement, nous voulons trouver un havre de paix, un espace de tranquillité où tout serait à sa place, comme nous le souhaitons. Pas de perturbation extérieure, pas de tristesse, mais de la joie, de l’amour, voilà ce que nous voulons !

Visiblement nous nous y prenons mal, puisque nous sommes toujours en quête du bonheur… Une de nos difficultés est que nous recherchons un bonheur stable et durable alors que tout change tout le temps, que tout est imprévisible. Nous ne savons pas ce que sera l’instant suivant. Sans nous en rendre compte, nous construisons sur du sable alors que nous pensons établir un socle solide pour une vie qui nous convienne. Mais c’est l’insatisfaction qui prend place, parce que cela ne se passe pas comme nous le voulons !

Sans cesse, nous nous laissons embarquer, happer par nos émotions alors que nous souhaitons trouver le bonheur, développer plus de clarté et de bienveillance. Lorsque nous le voyons, c’est bien souvent le découragement, le jugement sur notre incapacité à parvenir à stabiliser notre esprit, qui prennent place. 

Mais voir est la première étape du processus. Voir nos émotions à l’oeuvre, les identifier, les accepter et ne pas les suivre est un entrainement. Nous ne pouvons changer que ce que nous voyons. Guendune Rinpoché disait : « un défaut non vu est un défaut, un défaut vu est une qualité potentielle ».

L’émotion perturbatrice n’est qu’un mouvement dans l’esprit, mais nous avons l’habitude de nous identifier à tout ce qui traverse notre esprit, les pensées, les concepts, les émotions, les représentations, tous ces mouvements ont pour nous une réalité, une densité qui nous entrainent dans leurs sillons. Nous sommes accrochés aux mouvements émotionnels. Nous ne considérons pas  la colère, ou tout autre émotion perturbatrice, comme un mouvement qui nous traverse, nous nous identifions à cette colère et nous nous percevons comme coléreux. Le découragement et la déception prennent souvent place lorsque nous constatons notre difficulté à changer notre rapport à nos travers émotionnels. 

Travailler avec ses émotions se vit en quatre étapes : les voir, les identifier, les accepter et ne pas bouger, rester stable et laisser passer le mouvement émotionnel.

C’est parce que je vois mes dysfonctionnements, c’est parce que je les accepte que petit à petit j’ai la possibilité de ne pas bouger, de laisser l’émotion s’élever sans pour autant m’identifier à ce mouvement dans l’esprit.

Il s’agit alors de se réjouir de voir, et non pas de se réjouir de ce que nous voyons !

Parvenir à se réjouir de voir la colère monter en nous, même si nous nous laissons piéger par elle, est une étape essentielle du processus. Si nous parvenons à nous réjouir de voir, et si nous le faisons de façon régulière, aller à la rencontre de nos dysfonctionnements devient un plaisir ! Nous sommes moins sujet à l’insatisfaction ou au jugement dur qui entraine souvent une baisse de l’estime de soi. 

Se réjouir rend au contraire l’entrainement plus léger. 

Se réjouir est une base nécessaire pour développer la persévérance, l’effort enthousiaste, pour renforcer notre bienveillance envers nous-même et donc envers les autres. 

Réjouissons-nous d’avoir la possibilité de regarder notre fonctionnement afin d’en être moins dépendant ! 

Trinlé

20 signes de progrès dans notre pratique bouddhiste

Voici la traduction (de l’anglais) d’un texte de Rolf Scheuermann sur les signes de progrès spirituels sur la voie bouddhiste. Une réflexion personnelle inspirante qui peut aider chacun dans la compréhension de ce qu’est la pratique bouddhiste.  

Qui peut nous dire si nous faisons des progrès dans notre pratique bouddhiste ?

Beaucoup de gens qui pratiquent le bouddhisme ou d’autres chemins spirituels depuis des années ne sont pas certains de faire de réels progrès dans leur pratique. Ils croient devoir  aller voir un Lama ou un enseignant pour le découvrir.

Quelques enseignants peuvent être capables de réellement vous aider à ce propos. Il y a évidemment quelques signes extérieurs qui peuvent être des indices de progrès spirituels valables. Cependant, il n’y a en fait qu’une seule personne  qui peut vraiment juger nos progrès correctement. Non, je ne parle pas de nos maris, femmes, ou parents proches même s’ils peuvent nous éclairer.

L’unique personne qui en saura vraiment le plus en ce qui concerne votre pratique c’est VOUS.

Prétendre être un bon pratiquant bouddhiste est plutôt facile. Si on le fait bien, on peut même y croire soi-même. Tout ce dont on a besoin est d’avoir quelques notions de base des enseignements bouddhistes et faire bonne figure devant les autres.

Que l’on en soit conscient ou non, presque chacun de nous agit ainsi dans une certaine mesure. Nous voulons être perçus comme de bons disciples, étudiants, enseignants, pratiquants bouddhistes, méditants,  des êtres généreux, ayant une bonne éthique, et ainsi de suite.

Le Dharma et le changement intérieur

Les enseignements bouddhistes ou Dharma sont parfois appelés un « Dharma intérieur ». Cela fait référence au fait que la pratique bouddhiste n’a pas pour objet l’attitude extérieure ou la conduite.

Le bouddhisme n’a pas non plus pour objet de faire des pratiques spécifiques ou des rituels. La quantité de livres que nous avons lus et étudiés n’est pas si importante. Les heures que nous avons passées à méditer ne comptent pas. Ce que nous avons appris n’est pas important. Ce qui compte vraiment c’est si cela nous a transformés et comment.

Dans la tradition bouddhiste tibétaine il est coutume, par exemple, de faire des pratiques incluant un grand nombre de prosternations. Les prosternations sont une activité physique qui peut n’avoir qu’un effet positif limité sur notre corps. Mais dans certains cas, cela peut aussi blesser notre corps, en particulier les genoux.

Il est donc particulièrement important pour un pratiquant de comprendre que ce n’est pas la prosternation physique en soi qui compte. La dimension intérieure qui l’accompagne est importante. La méditation qui lui est associée peut nous aider à transformer notre personnalité en renforçant notre refuge et notre développement de la bodhicitta (esprit d’éveil). Si nous n’y prenons pas garde, la pratique des prosternations peut ne devenir qu’une sorte d’exercice physique.

Comment pouvons-nous découvrir si notre pratique bouddhiste va bien ?

En appui de nombreuses pratiques bouddhistes, il y a des instructions associées qui décrivent des signes favorables tels que des rêves et des expériences méditatives qui peuvent montrer nos progrès.

Ces signes de progrès ne devraient être perçus que comme des lignes directrices ou des indications. Si nous devenons enthousiastes ou même satisfaits lorsque de tels signes de progrès se produisent, ils peuvent en outre nourrir notre saisie de l’ego : « Je ne suis plus seulement une personne merveilleuse et intelligente, mais je suis aussi à un niveau spirituel avancé maintenant. »

A l’inverse, ne pas avoir de tels signes ne devrait pas nous attrister ou nous déprimer. Les progrès spirituels réels n’ont rien à voir avec des rêves ou des visions. Si nous les interprétons mal, ils peuvent même nous détourner du chemin. Somme toute, le chemin bouddhiste a pour objet notre développement en tant qu’être humain dans tous les aspects de notre personnalité.

Courte liste de signes de progrès dans la pratique bouddhiste

La liste qui suit contient 20 signes qui peuvent indiquer que nous faisons de bons progrès dans notre pratique bouddhiste. Elle est destinée à donner des indices que nous pouvons utiliser pour réfléchir sur nous-mêmes.  N’étant que le résultat de mon introspection et remue-méninges personnels, j’attends avec impatience d’éventuelles corrections, ajouts ou suggestions. Si vous en avez, merci de vous sentir libre de les partager avec nous en laissant un commentaire sur cette page.

Il semble que nos progrès spirituels murissent bien :

  • Si les autres remarquent que nous avons changé en mieux
  • Si nous avons moins de désirs et nous satisfaisons plus facilement de petites choses
  • Si nous remarquons de plus en plus d’espace nous permettant de réfléchir avant de réagir à ce qui se passe autour de nous
  • Si nous arrêtons de rêver de devenir un grand yogi en méditant 10 heures par jour une fois de temps en temps
  • Si, au lieu de cela, nous commençons à pratiquer régulièrement et avec joie
  • Si notre besoin de distraction diminue et que nous nous sentons plus paisibles de façon générale
  • Si nous ne nous laissons pas emporter par des expériences dans notre méditation ou des rêves intéressants
  • S’il devient plus facile de faire face aux épreuves et aux difficultés dans notre vie quotidienne
  • Si nous arrêtons de nous enorgueillir de nos réussites spirituelles ou de nos situations, mais que nous nous concentrons sur des choses sérieuses
  • Si nous nous soucions moins du passé ou du futur, mais apprécions consciemment le présent
  • Si nous commençons à nous inquiéter davantage de nos propres pensées plutôt que de ce que les gens peuvent penser de nous
  • Si nous ne réagissons pas vivement lorsque des gens nous critiquent, mais nous demandons ce que nous pouvons en apprendre
  • Si nous commençons à apprécier d’aider les autres sans rien attendre en retour
  • Si nous devenons plus conscients de nos propres défauts et des qualités des autres
  • Si nous nous prenons de moins en moins au sérieux, et qu’au lieu de cela nous commençons à aimer les autres
  • Si nous sommes moins exclusifs à propos de notre propre tradition et de nos enseignants, mais que nous nous réjouissons des activités vertueuses des autres, bouddhistes ou non bouddhistes
  • Si notre gratitude et notre reconnaissance envers nos enseignants deviennent de plus en plus fortes
  • Si notre amour et notre compassion pour tous les êtres grandit naturellement, en particulier pour ceux que nous n’aimons pas
  • Si nous devenons de plus en plus courageux
  • Si le Bouddha n’est plus un dieu, un être surnaturel ou un objectif lointain pour nous, mais la nature véritable de l’esprit de tous les êtres.

Merci à Rolph pour l’autorisation de publier son article (la version anglaise)
Merci à Marie-Charles pour sa traduction

Rolf Scheuermann a étudié le tibétain et le bouddhisme à Vienne, Heidelberg et à New Delhi. Actuellement, il travaille comme chercheur à l’université de Vienne et comme conférencier dans différents instituts internationaux. En tant qu’interprète et traducteur de la langue Tibétaine, il travaille avec une grande diversité de maîtres bouddhistes, de centres et d’institutions. 

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