Toutes les traditions bouddhistes s’accordent pour dire que la méditation a d’abord pour but de pacifier l’esprit et de le clarifier. Nous ne pouvons, de fait, fabriquer une sérénité de l’esprit. Il nous faut rassembler les conditions pour que, de lui-même, l’esprit se pacifie. Quand à la clarté, elle est discernement, compréhension. La méditation permet de voir et d’identifier progressivement les fonctionnements de l’esprit, ce qui se passe en deçà de ce que nous pouvons percevoir maintenant.
Quand on commence à méditer, la première rencontre est celle de l’agitation, une sorte de chaos intérieur fait d’images, de pensées, de sensations… Alors que l’instruction nous demande de rester centré sur la respiration, à peine nous sommes nous posé sur le souffle que déjà nous sommes emporté par le flot des pensées. C’est la distraction. La distraction est une processus assez simple : nous sommes sensé rester conscient de la respiration, mais, par habitude, nous suivons le discours des pensées.
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La distraction est causée d’abord par les stimuli sensoriels extérieurs : les bruits, les mouvements, les voix, les odeurs, etc. Au début, il est impossible de ne pas être pris par tout ce qui se passe dans notre environnement. Mais, progressivement, nous pouvons nous émanciper de l’influence des distractions extérieures.
Comme nous sommes très forts, nous arrivons à nous distraire nous-mêmes. Nous sommes distraits par notre propre discours intérieur. Généralement, au quotidien, nous sautons d’un sujet à l’autre, d’une idée à l’autre, discutant avec nous-même sans fin : souvenirs, projets, commentaires. C’est une habitude profondément ancrée qu’il nous faut d’abord identifier et reconnaître. Mais alors même que, durant la méditation, nous essayons de la voir, elle nous emporte. Au final, la session de méditation se passe plus en errance mentale qu’en présence à soi-même.
Et c’est naturel… D’accord, mais comment faire ?
Il est un moment privilégié dans la méditation, un instant clé. C’est le moment magique où nous nous rendons comptes que nous sommes en train de penser. Evidemment : ce n’est pas parce que nous avons décidé de méditer, que tout à coup les pensées vont s’arrêter ou que l’on sera capable d’en apprécier le mouvement sans le suivre. La distraction fait partie du processus méditatif. Mais quel que soit le nombre de fois où nous nous égarons et la durée durant laquelle nous errons, arrive toujours le moment où l’on voit et l’on se dit : « Je suis en train de penser. »
Le moment clé est là : c’est à cet instant que nous avons l’opportunité de revenir à la respiration, de nous (re)poser sur le support. Et bien non ! C’est alors que nous commençons à en rajouter, jugeant notre méditation mauvaise puisque nous sommes distrait, râlant peut être contre notre incapacité à rester stable, maugréant sans doute contre ces pensées qui jamais ne s’arrêtent. Ce faisant, nous ne nous rendons pas compte que nous rajoutons de la pensée à la danse des concepts. Nous nourrissons alors la distraction avec ce secret espoir de ne plus en avoir, de pensées. Chercher une méditation sans pensées est le must de la distraction !
Proposition : à cet instant privilégié de clarté où nous nous rendons compte que nous sommes distrait, réjouissons nous de voir. En général, c’est à ce moment là que nous jugeons notre méditation, c’est alors que nous commentons ce qui se passe. Nous sommes plus occupé par la distraction elle-même que par le fait d’en être conscient. Or, cet espace de reconnaissance est notre chance de prolonger la clarté, en revenant doucement et avec rigueur à la respiration. Ne le ratons pas : ce moment de clarté est le germe d’une vigilance qui peut s’accroitre si nous ne l’encombrons pas de nos commentaires inutiles. Ce retour instantané à la conscience est le pivot de la méditation, l’espace qui rend possible l’attention, le lieu de l’entrainement.
Un jour, j’ai demandé à une ado qui s’entrainait à méditer ce qu’était pour elle la méditation. Elle m’a répondu : c’est revenir. Elle avait raison ! C’est en appréciant les instants de clarté, de reconnaissance de nos errances mentales que nous pouvons revenir à l’attention et laisser les mouvements de l’esprit libres. C’est alors que, peu à peu, l’esprit se pacifie, de lui-même.
Puntso
Jérôme Provost
/ 14 mars 2014Tout ceci est juste et vécu… Il me semble que la distraction, autrement dit la survenue de pensées supplémentaires qui « emportent », vient de ce qu’une part de mon esprit cherche à « contrôler » le processus de méditation. Pour contrer cela, il m’a fallu suivre les bonnes instructions et lâcher peu à peu l’idée de « bien faire la méditation » pour simplement « la laisser faire et essayer de voir au mieux ce qui se passe ». Quoiqu’il arrive, agréable ou désagréable (pas facile ce dernier point : apprivoiser l’inconfort)… Comment oser redonner à l’esprit (cet inconnu dont on se méfie des écarts !) une certaine liberté, une certaine détente, tout en maintenant la vigilance ? A force de pratique, mon esprit a davantage pris confiance en lui, en ses capacités à aller dans l’inconnu. Dans le fait de n’avoir rien (de solide, de conceptuel) à quoi se « raccrocher ». Il m’est arrivé parfois de « voir » une pensée comme une simple fabrication mentale qui se superpose au réel de la pièce. C’est une lapalissade de le dire, mais voir comme la force des pensées arrive à me fabriquer si vite une « réalité » qui semble plus importante, plus dense, que le réel, c’est… fort, et instructif… En méditant, je découvre qu’en fin de compte chaque pensée n’est qu’une pensée, rien de plus, rien de moins.
Chaque nouvelle pensée semble s’immiscer comme un voile si fin qu’au début, je ne la vois pas arriver. C’est quand elle a pris davantage d’épaisseur, de consistance, que je la remarque davantage comme « pensée ». Parfois seulement quand elle est devenue un tissu bien opaque qui m’a emporté bien loin ! Même après beaucoup de séances et beaucoup de patience ! Amicalement
zelda
/ 15 mars 2014Alors je ne suis pas si nulle que ça …! En effet j’ai remarqué que plus on s’attache au fait que l’on a été distrait plus on met du temps à revenir sur le support de méditation.
C’est vrai aussi que moins on est exigent, plus on est « soft » plus cela se passe bien. Accepter ce non contrôle, ce « non- faire », ce « simplement observer « ne nous est pas évident ! Cela demande une certaine souplesse d’esprit. Parce que bien souvent, dans notre quotidien, que ce soit dans le domaine professionnel, personnel, familial et même de la santé, on a cette sensation inverse qu’il faut contrôler les choses. J’ai cette impression que dans bien des domaines, on est poussé à un certain contrôle par peur de quelque chose. peur de l’échec, peur de la maladie, peur de la mort, peur du changement.
La méditation, en impliquant le non-contrôle, peut donc nous aider à aborder les choses de notre quotidien sous un angle nouveau, un angle d’observation, et d’acceptation des choses plutôt qu’un angle de contrôle. Et peut être ainsi apporter plus de sérénité intérieure.
Michel
/ 19 mars 2014Donner de la liberté à toutes choses… Comment ? En étant attentif. A quoi servent les prières, les cérémonies, les offrandes, si on est distrait, confus ? Pratiquons l’attention sinon, croyez en mon expérience, c’est la « cata » ! Simplement s’assoir, s’oublier dans l’attention à la posture, à la respiration, à l’ état d’esprit, c ‘est devenir un avec toutes choses. Tout le monde peut être attentif, je « dois » pratiquer l’attention…
isa
/ 24 mars 2014un petit pas de côté : la distraction est utilisée comme technique antalgique pour proposer une dérivation de l’attention. L’esprit confronté à 2 informations : la douleur et une stimulation autre (musique, discours…) ne peut rester centré sur l’information douloureuse et l’expérience vécue se transforme parfois en supportable. L’arrêt de la focalisation crispée est ici puissamment efficace. Vive la distraction ! Houps !
Dhagpo Bordeaux
/ 25 mars 2014Passionnant ! Cela montre comment la distraction empêche de faire l’expérience des choses : cela devient un avantage quand son utilisation est thérapeutique ou alors pédagogique (pour le petit enfant qui ne peut encore assumer sa frustration, le distraire est une bonne façon de le calmer.) ; mais la distraction devient un défaut lorsque, non vue, elle nous empêche de nous rencontrer pleinement (comme dans la méditation). Merci Isa